mardi 3 avril 2012

AU BORD DU PRÉCIPICE, VERS LES TENTACULES

Je portais une belle chemise bleue à manches longues ; cela faisait un moment que j’en cherchais une comme ça. Ma famille s’était réunie pour une cérémonie en l’honneur de mon grand-père. Nous formions un demi-cercle en forme de U autour de la table du salon, qui était également devenu un jardin. Moi je faisais partie du centre, et face à moi se tenait le prêtre.
Il y avait une jolie musique et des belles paroles, toujours ces mêmes belles paroles… Je ne les écoutais pas, droit comme un I et les mains jointes devant moi. Apparemment, ma sœur et ma mère non plus, à ma gauche et à ma droite. C’est là qu’un énorme fou rire nous prit, un fou rire communicatif, droit dans les yeux, que nous essayions de rendre furtif, sous les yeux inquisiteurs du curé… Dans un tel moment, cette complicité familiale me rendait heureux. En même temps, comment ne pas éclater de rire en écoutant ce baratin clérical, hypocrite et maintes fois réchauffé ? J’essayais pourtant de lutter contre le rire nerveux, le cacher, mais j’étais en ligne de mire. Et quand le prêtre lâcha un son d’orgue devant son auditoire à la tête baissée, ce fut tout simplement une explosion de rire dans nos barbes, surtout la mienne, que nous tentions de contrôler. Les yeux du cureton devenaient rouges et me fusillaient, moi, face à lui, me procurant cette sensation de n’être qu’un putain de renégat. J’en étais fier. Jusqu’à ce que je comprenne que mon manque de tenue faisait du mal à ma grand-mère et un de mes oncles, déçus tous deux de ma malséance et de mon attitude irrespectueuse et blasphématoire pendant cette cérémonie qui me semblait occulte. La mère et le fils ne prononcèrent pas une parole mais leur silence en disait beaucoup plus long.



Je décidai donc d’enfouir tous mes souvenirs dans un coffre que je déposerais au fond de la mer. Quand tout fut prêt, j’avançai en nageant vers le large, avec la boîte, non sans mal. Je m’arrêtai à la hauteur d’un énorme paquebot amarré à cet endroit. La tête hors de l’eau et collé à sa paroi, sa coque me semblait immensément grande. Sous mes pieds battant, je pouvais voir le fond, du sable et des cailloux rouges qui ne me paraissaient pas être si bas. Le vent se leva : une tempête s’annonçait alors que je recevais des grosses gouttes de pluie sur le visage. C’était une sensation horrible que d’être au milieu de nulle part adossé à la paroi d’un géant d’acier que l’écume rendait verte, sans savoir ce qu’il y avait en-dessous. Comme au bord d’un précipice.
J’hésitai à plonger quand soudain, un visage et une voix de femme m’apparurent hors de l’eau, familiers, sans que je puisse mettre un nom sur cette étrange apparition. Affectueusement, elle m’expliqua que je n’avais rien à craindre de la profondeur, car un de mes ancêtres était un cachalot, et que par conséquent je pouvais descendre très bas sans aucun problème. J’étais tellement rassuré et enthousiaste que je voulais prendre dans mes bras cette inconnue qui ne l’était pas tant que ça, et plongeai sous le bateau. Arrivé en bas, je constatai des grillages individuels qui devaient être des geôles sous-marines. Je ne me souviens pas de quand je remontai à la surface…

Aucun commentaire: