mardi 9 avril 2013

PAR ICI

Monsieur A, le serveur du café, paraissait heureux de me voir. Il me semblait qu’il s’était embrouillé avec sa chef, une fois de plus. Des choses qui arrivent. Comme toujours. Mais après tout, je n’en étais pas certain. De toute façon, comment aurais-je pu en être certain ?
J’étais revenu dans ce monde peuplé de cons et de minables. Bien que ces derniers puissent parfois se confondre. M’abritant de la vie nocturne d’ici-bas, insalubre et pesante sous les spotlights, je décidai de rendre visite à Monsieur E chez lui. Il devait me donner des conseils précieux sur le choix d’un instrument, m’aider à comparer la Precision et la Jazz Bass de Fender. Lui aussi s’était disputé avec sa chef, Mademoiselle M, qui était en réalité sa fiancée. Parfois, c’est pareil. Les fantômes du conflit étaient encore présents par ici. Je les voyais autour de moi comme des flashbacks. Monsieur E non plus n’avait pas réussi à échapper à la mascarade des cons et des minables. Il continuait à cohabiter avec eux. Puis il me fit monter à l’étage, une sorte de loft qu’il avait transformé en studio de musique. Ce n’est qu’en arrivant au sommet des escaliers que je vis le volcan se briser en mille morceaux depuis la baie vitrée de l’appartement. Il vola en éclats, en éclats de fumée, de glace, de satin et de je-ne-sais plus quoi. J’avais l’impression qu’il était sous mes yeux. Il explosa dans une violence inouïe qui ne produisit pas le moindre bruit, malgré la brutalité de cette plainte de la roche et de la nature : Monsieur E avait une baraque bien insonorisée… Sous le nuage blanc liquide, les Rouge et Noir étaient menés au score. Je les imaginais en-dessous de l’impact, face à une équipe de seconde zone. C’est ainsi que j’eus ces images d’eux, se démenant à l’époque sur des terrains pitoyables, entre deux scènes aménagées pour un festival en plein air.


Quelque part au même moment, un grand souverain à l’apparence de John Merrick se faisait porter par une barque sur un fleuve inconnu. À la lumière d’une bougie, sur le bateau dans cette cabine aux reflets de feu, il s’apprêtait à prendre un bain. Et avec sa coiffure difforme et ses lèvres monstrueuses, il se répétait à lui-même : « Un bon bain pour le roi. Un bon bain pour le roi… ».