mercredi 21 novembre 2012

QUEUE COMPTE DOUBLE

J’ignore toujours ce que je foutais dans cette piscine extérieure, insalubre. Sans eau, sans rien que des dalles de pierre blanches noircies par la saleté. Autour de moi, un vallon obscur, d’où semblait provenir un énorme scorpion dont je guettais les moindres mouvements avec crainte.


Dans la même atmosphère d’abandon, j’en profitai pour pénétrer dans le bâtiment grisâtre désolé dans lequel habitait Monsieur G. Cet après-midi-là, je le trouvais amoureux et triste. Replié dans une chambre verte extrêmement vieillotte, il racontait sur son lit sale que son père lui avait dit qu’il était une merde, après lui avoir interdit d’utiliser certaines techniques interdites au Scrabble. Un peu à la Jackie Chan, façon Combats de maître, pensai-je. Monsieur G acquiesça, avec son enthousiasme habituel. Avant de baisser les yeux de plus belle et de se mettre à déprimer. Sa bien-aimée venait de le rejoindre dans cette pièce poussiéreuse, et ainsi une partie de Scrabble s’annonça. Avant que je m’installe, Monsieur G me demanda de me mettre une grosse couche d’écran total sur le front : en effet, ce pauvre bougre souffrait d’une forme extrêmement rare de cancer de la peau contagieux. Seul moyen pour limiter les risques de contamination…

lundi 12 novembre 2012

ÇA VA DÉPOTER GRAVE

Quel bonheur que de gifler avec arrogance et mépris cette grosse merde hautaine qu’est Monsieur B.L, rencontré par hasard une nuit, au sortir d’un train urbain du Mexique, dont les rails surplombaient les lumières de la mégalopole en contrebas. Ah, Monsieur B.L… Il ne lui manque plus que la hache au milieu. Je l’avais repéré dans ce couloir de la gare entièrement rénovée, entourée de baies vitrées. Après l’avoir interpelé avec moquerie et lui avoir administré un bon gros pain plein d’amour, le pauvre avait l’air apeuré, ne sachant quoi faire. Son apparence de guévariste globe-trotteur avait évolué vers une habile nouveauté : une belle queue de cheval de baltringue… Le monde est décidément un village minuscule et sans fin. Surtout de nuit.

lundi 5 novembre 2012

ENTERREZ-MOI PARMI LES TARASQUES

« Maintenant je sais ce qu’a ressenti Cuauhtémoc », me dis-je en pensant à une célèbre chanson des Smiths. Inconsolable, après m’être rendu compte que ma bien-aimée m’avait trompé. Je ne la reconnaissais plus. Je constatai même que son visage était devenu celui de ma sœur. Incompréhensible. L’ordure, c’était le mec de Mademoiselle C, l’une de mes meilleures amies. Tout avait été prémédité. Calculé, organisé.
Sur un parking, à demi-éclairé ce soir-là, je décidai d’entrer dans la voiture du traître pour avoir la preuve de tout ce qui se tramait. À vrai dire, je ne savais même pas moi-même ce que je cherchais. Et c’est à peine infiltré dans le véhicule que Mademoiselle C et son fidèle compagnon me tombèrent dessus. Sa barbe hirsute et ses yeux enragés me préparèrent à un mauvais quart d’heure. Pourtant, il se contenta de me regarder avec cette étrange expression, alors que je descendais de sa bagnole, méfiant. Je n’en revenais pas qu’elle puisse être complice d’une telle saloperie. Elle semblait cautionner ; presque apprécier. Et Elle, qui ne l’était pas vraiment, se tenait à proximité. Ainsi je partis sans expliquer ni comprendre quoi que ce soit, sur cette chaussée trempée, au milieu d’un nulle part aux lumières perverses et clignotantes qui embrasaient de couleurs le toit de cet immeuble.


Au même moment, le monde connaissait une crise des doublages de films. De nombreux acteurs refusaient de remplir leur voxographie en donnant leur timbre à tout personnage ambigü du cinéma. Moi, dans un supermarché avec ma mère, je me rendis compte à quel point elle avait du mal à reconnaître les gens. Et une femme grotesque aux cheveux frisés, probablement une vieille connaissance à elle, s’approcha de notre caddie pour se remémorer le temps passé. Et perdu. Ma mère n’avait l’air que très peu enthousiasmée par la rencontre incongrue. En me voyant, la rombière s’exclama : « Qu’est-ce qu’il ressemble à son père ! ».
Rien de tel pour me mettre en rogne. Sauf que ce qu’elle avait pris pour moi, était en réalité une calavera à mon effigie, faite en terre et posée non loin…

lundi 29 octobre 2012

L'ŒUF DANS LEQUEL TU VIS

Au départ, il y eut un tremblement. À la fin aussi. Une secousse. Quelque chose de violent qui déjà n’existait plus, et s’était évaporé, à tel point qu’il était impossible de savoir de quoi il s’agissait. Puis plus rien, je crois. L’oubli.


Mon père n’arrivait plus à suivre le fil d’une conversation. On lui parlait, on avait l’impression d’être face à un pantin vide de tout, qui regardait un point inexistant au lointain et qui ne prêtait pas la moindre attention à nos paroles. Lui-même sortait de son mutisme au bout d’un moment, peu attentif au monde qui l’entourait. Et ce qui l’encerclait alors, c’était une montagne merveilleuse de l’arrière-pays, plaque abrupte de roche grise et d’arbres verdoyants. Majestueux. Depuis ce balcon sur lequel je me trouvais, je remarquai que la cime de cette falaise côtoyait le ciel, comme si les deux étaient collés l’un à l’autre, ce qui abreuvait la vallée de soleil à toute heure du jour. Il suffisait juste que l’Astre ne soit pas assoupi. Ce qui m’étonnait le plus, c’était que mon père puisse aimer un tel paysage. Je m’étais fait la réflexion avec ma mère, disant qu’il n’aimait pas le Soleil, en temps normal. Mais le spectacle était si beau que je ne m’en préoccupais guère, qu’il s’agisse du nouveau lieu de résidence de mon géniteur ou non. Le balcon surplombait une autre immensité de néant, mais de ce perchoir de pierre, l’on ne pouvait voir que ce que la nature divine faisait naître et mourir en face, sur l’autre versant.


Le soir-même, nous étions en voiture tous les trois. Je devais être pris en charge médicalement pour une durée inconnue. Au cours d’une pause dans l’herbe humide et l’obscurité, je voulus discuter avec ma mère, la Lune brillante comme seule compagnie sur cette colline accidentée. Je repensais à la vallée que j’avais contemplée durant la journée. À tout hasard, je parlais à ma mère d’un bled perdu dont j’avais eu connaissance. Elle, curieusement ravie, m’expliqua tout le bien qu’elle pensait de cet endroit, un grand sourire aux lèvres. Une incompréhension de plus pour moi, elle qui d’ordinaire avait en horreur tous ces villages isolés et lugubres, qui sont légion dans les montagnes.
« Oh non, mais c’est une commune pleine de chiens et de chats. »
Je revoyais encore la tristesse infinie des pierres et des bâtisses, une vision à mille lieues de celle que je venais d’avoir avec mon père. Et ma mère d’ajouter :
« C’est un village à la coque. »
Soit…


Et nous reprîmes la route, nous arrêtant au beau milieu d’une forêt, alors que je répétais des mouvements de kung-fu à l’arrière de la voiture. Nous étions stoppés par un énorme arbre qui faisait une sieste centenaire parmi ses proches. Autour de nous, toujours la nuit et cette absence de couleur à nos yeux. Ni une ni deux, je sortis de la voiture et enjambai le géant de bois avec une agilité asiatique plutôt ridicule.
« Tu te prends pour Jet Li ?! », me hurla mon père. Je n’en tins pas rigueur. Jusqu’à ce que, encore à terre, un chausson noir et blanc se posa brutalement sur ma main. Et alors que je levais la tête, Jet Li en personne.

mardi 15 mai 2012

TAMBOUR

Dans cette pièce aux murs sombres, aux couleurs de brique calcinée, nous étions réunis en famille. L’ambiance était à la fois pesante et détendue, au beau milieu de la salle à manger. Il manquait cependant mon père, parti s’occuper d’une tâche quelque peu ingrate : obtenir la confirmation de la mort de mon grand-père, qui lui était resté parmi nous, un peu anxieux, vêtu de son indémodable bleu de travail, dans son non moins éternel fauteuil. Les discussions allaient bon train durant cet instant familial anodin, jusqu’à ce que mon père réapparaisse avec une mine quelque peu préoccupée. Alors que nous attendions le verdict, personne ne tarda à comprendre : mon vieux grand-père devait s’en aller, et on allait venir le chercher. Ainsi il se leva de son fauteuil, dans un mélange de déception et de résignation, presque en haussant les épaules.
« Bon… ».
Ce fut donc le moment que choisirent ma mère et ma sœur pour introduire le chat dans la machine à laver. Un peu surpris, je leur demandais si ça ne risquait rien et que ça n’allait pas l’abîmer, mais elles me répondirent que non. Alors on le mit en marche, dans le tiroir à lessive et non directement dans la machine. Pas longtemps, juste 30 secondes. Suffisantes pour qu’il puisse prendre une douche et sortir de là les yeux fermés, trempé des oreilles à la queue, humilié et dans l’incompréhension la plus totale avec son poil hérissé et gonflé de peur et d’eau. On aurait dit un rat à fourrure grise que l’on venait de repêcher, au bord de la noyade.


Je pense que tout cela m’affecta énormément. Pour preuve, je ne me souviens plus des instants qui ont eu lieu par la suite, jusqu’à ce que je me retrouve dans un bar austère du quartier où l’on se lavait les pieds en public. Il me semblait avoir vu des chevaux, alors que la clientèle du bistro me dérangeait fortement. Puis je sortis pour la retrouver.
On devait se rejoindre sur les hauteurs. En premier lieu, elle me fit une réflexion sur l’odeur de café que je dégageais, m’expliquant qu’en été, les relents d’expresso se sentaient beaucoup plus fortement, etquilfallaitquejefasseattentionparcequeçapouvaitlagêner, etquecétaitpourmoiquelledisaitçaaprèstout. À ce moment-là, une ancienne camarade de classe, de l’époque du lycée, apparut. Elle nous demanda si nous attendions le premier jour de cours, ce à quoi nous répondîmes en acquiesçant. Puis elle nous parla un peu. Sur le chemin abrupt en descente, par cette journée magnifique avec toute cette verdure qui nous surveillait discrètement, j’expliquais que j’étais en quatrième année, et que même si elle avait près de vingt-cinq ans, dont trois printemps de plus que la moyenne, la deuxième année qu’elle allait commencer était la période rêvée pour ne rien branler. Et mon opinion de vétéran ne plut guère à la seconde fille qui venait de se joindre à nous, peu enthousiaste à l’idée de débuter sa première année.


Mais de cette journée comme les autres, difficile à saisir, tout restait confus. Comme si rien n’aurait jamais la moindre répercussion…

mercredi 9 mai 2012

SAVOIR APPRÉCIER LE SILENCE

Plusieurs fois j’eus l’impression d’être assailli par un horrible cafard aux ailes blanches, couleur de soie, aux dimensions cauchemardesques. À deux reprises, je crois. Mais il n’en était rien.
Tout n’était qu’argent. Et hypocrisie. Dans une gare de bus, je voulus tuer un guichetier qui refusait de me vendre un titre de transport pour une raison obscure. On essaya de me retenir, de me ceinturer, de m’immobiliser. Le seul exutoire que je trouvai alors fut de cracher au visage d’une pauvre bourgeoise, veuve ou célibataire, qui n’avait rien demandé. Je m’en foutais. Face à son indignation, je légitimai mon acte en l’insultant.
Et ça continuait. Plus tard, je vis un attroupement au coin d’une rue : un mec que je connais depuis l’école, ami d’un jeune homme qui venait de mourir dans un accident de moto (Monsieur N, que je n’aimais pas mais qui est parti beaucoup trop tôt), était en train de se battre violemment avec un autre gars. Tout ça pour une fille au beau milieu de la foule dont les membres qui la composaient en hurlant donnaient l’impression d’assister à un combat de coqs. Je crus comprendre que celui que je ne connaissais pas était impliqué dans un sale plan et devait une grosse somme à quelqu’un. Mais tout resta très confus.


La nuit était tombée. Noire, sans un mot. Elle et moi nous passâmes un moment sur un banc pour apprécier le silence, alors qu’à quelques mètres de nous gisait une forme humaine enveloppée dans une couette de fortune. De là où j’étais, on aurait dit une version féminine de l’escroc pris dans la bagarre plus tôt dans la journée. Mais il était difficile de savoir. Alors avec Elle nous nous mîmes à dessiner par terre, à la craie, des symboles en couleur qui menaient jusqu’au corps endormi : de l’amour, des fleurs, des sourires, et même une tête de chat. Jusqu’à ce que je signe le dernier dessin de la route enfantine de quelques pas que nous venions de créer : une énorme inscription en lettres capitales, sans signification, dans le sens contraire aux formes que nous avions figées par terre, perpendiculaire à mon regard et au corps inconnu, comme une dernière passerelle pour l’atteindre. Sauf que l’on aurait pu jouer à la marelle dessus.
Tout n’était encore qu’argent. Or, nous avions fait connaissance avec celui qui s’était fait molester parmi la foule. Lors d’un dîner, il continua à nous parler de placements, de remboursements, de dettes… C’était dur de ne pas en avoir rien à foutre. Des bouteilles avaient volontairement été vidées dans l’évier.


Sur le chemin pour me rendre à une convention artistique, je croisai près d’un cinéma celui que l’on prétendait être Jacques Mesrine, le crâne rasé, un anneau dans le nez et vraisemblablement en pleine période punk car vêtu comme Sid Vicious avec son célèbre t-shirt rouge à croix gammée. J’ignorais s’il interprétait une chanson de Sinatra, mais il se donnait en spectacle avec sa compagne dans un décor aux couleurs du drapeau états-unien très kitsch : étrange, et à mille lieues de l’image de gangster que j’avais, que je pensais né dans les années 30 et que je croyais mort.
Il y avait beaucoup de monde à cette convention du tatouage, dans un immense salon blanc et design. Elle, se tenant un peu à l’écart, venait de trouver un symbole magnifique à se faire encrer sous la peau : le relief d’une fleur de pierre, spongieuse, décrivant de belles arabesques le long de ses étranges pétales. C’est ainsi qu’Elle décida d’effectuer elle-même le calque de cette plante merveilleuse.
De mon côté, je me connectai à un réseau grâce à une borne mise en place dans un coin de la salle : là, je lus un message du tatoueur, Monsieur M, de remerciement et d’admiration, m’expliquant dans la langue de Dante combien il avait été ravi de travailler sur mon corps. Surpris et touché, je décidai de le chercher au milieu de l’assemblée mondaine. L’occasion de croiser de nombreux visages que je n’avais pas envie d’apercevoir, notamment toute la fine bande du magasin de musique qui avait hanté ma jeunesse. J’évitai soigneusement leurs regards, en constatant que l’un d’entre eux avait été équipé d’un sonotone : peut-être que Justice avait été faite ?


C’est alors que je trouvai le tatoueur, derrière le comptoir. Après un court bavardage, je le remerciai pour ses paroles sympathiques et lui proposai de travailler sur Elle, qui venait de nous rejoindre. Affectueusement, je lui demandai ainsi de sortir de sa poche le dessin de la fleur de pierre qu’elle avait exécuté. Mais Elle refusa. Elle avait manifestement changé d’avis…

mercredi 2 mai 2012

DES PETITS HOMMES VERTS, BLANCS ET ROUGES

Lorsque j’appris la nouvelle, j’étais en famille dans un bel appartement donnant sur la baie, magnifiquement éclairée cette nuit-là. Les extraterrestres avaient débarqué. Du moins, certains d’entre eux. L’événement ne provoqua pas plus d’émoi que ça : ceux qui étaient venus nous rendre visite étaient apparus près de la plage, s’installant peu à peu dans cette ville gigantesque. Il faut dire qu’ils nous étaient semblables en tous points ! Malgré un signe distinctif dont on m’avait parlé et que je n’arrivais pas à retenir, on aurait très bien pu ne pas différencier l’un des leurres d’un être humain. Ces extraterrestres venaient d’une région de leur planète équivalente à notre Italie. Ils étaient plutôt discrets et polis. Moi, je me suis lié d’amitié avec une ravissante envahisseuse aux cheveux rouges coupés très courts. Je me demande ce qu’elle est devenue par la suite…
Cependant, alors qu’il régnait sur le littoral un Soleil magnifique, j’avais l’impression qu’ils emmenaient avec eux les ténèbres… Un soir, alors que je m’apprêtais à aller dormir dans cette chambre inhabituelle et inconnue, je vis avec stupeur un étrange insecte sur le sol, se permettant des allers-retours audacieux entre mon lit et la salle de bain. Je n’avais jamais rien vu de tel : c’était une pince à cheveux géante sur pattes, d’une blancheur inouïe. J’espérais que ce soit une araignée, mais à en juger par le nombre de pattes dont elle disposait, le doute n’était pas possible. Un coup d’œil paniqué vers la fenêtre me fit comprendre comment le monstre était entré : les volets en bois, sans doute en mauvais état, avaient été si mal fermés qu’un immense passage s’était offert à lui, à l’horizontale. La seule chose à retenir, c’était qu’Elle avait encore et toujours du mal à comprendre ma phobie des insectes…


Le lendemain, je devais me rendre à la fac, car je devais effectuer une représentation dans une salle de cours, un concert sans instruments ni chant ni matériel, sans rien. Plein de potes à moi étaient venus pour l’occasion, et même certains curieux dont je me serais bien passé, comme cet insupportable Monsieur B et ses lunettes en écailles. Même ma mère était venue, et tous m’attendaient au fond de la salle.
Une prof myope arriva. Elle demande à toute l’assistance de former trois équipes à la tête desquelles chaque capitaine devait désigner un membre, comme à cette époque lointaine où l’on jouait au foot dans la cour de récré, étant gamins. Moi j’étais un des trois leaders. Il fallait également que l’on donne un nom à notre groupe, le moment rêvé pour que Monsieur K étale sa science pour l’équipe adverse, essayant d’attribuer un nom complexe et intelligent à sa troupe de sbires. Sa proposition contenait le mot "harmonía" sans que l’on sache pourquoi, ce qui attisa mon arrogance et ma moquerie envers mon rival roux : il ne parlait pas un traître mot d’espagnol.
Il me sembla que le but de la représentation était que chaque équipe doive reconnaître une chanson interprétée par chaque capitaine, mais je n’en sus rien. Car avant d’apprendre le principe de cette mascarade, un orage incroyable éclata. À cet instant je me tenais près de la fenêtre et il fallut lutter pour qu’elle ne blesse personne tant elle s’entrouvrait et se refermait dangereusement avec la violence hallucinante des vents. Les rideaux étaient arrachés. Dehors, la tempête emportait tout sur son passage : plantes, arbres, c’était la nature elle-même qui défilait sous mes yeux en faisant du rafting. À plusieurs centaines de kilomètres de là, mon ancien professeur de russe jubilait, et tirant sur son éternelle barbe, semblait prophétiser, cynique : « À certains endroits pendant cette tempête, contrairement à d’autres, des gens arrêteront tous les cactus déferlant, pour les manger ».


Une fois le calme revenu, je m’assis dans l’herbe humide, songeur. À quelques pas de là sur cette butte je vis le troisième capitaine du concert avorté, jusque-là resté en retrait. Soudain, un touriste s’amena et me demanda de lui indiquer le chemin dans un accent incompréhensible. Alors que je bredouillais, confus mais agacé, que je ne le comprenais pas, le troisième gars arriva et désireux de l’aider, partit avec lui tout en bavardant dans un dialecte parfait. Dans la conversation qui s’évanouissait au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient, je crus comprendre que le type cherchait l’Escorial. Visiblement, il n’était pas dans la bonne direction.
C’est après ça que je tombai sur un homme barbu, à moitié nu et sévèrement ligoté à une croix. En me voyant, il m’a regardé et m’a alors simplement demandé « Détache-moi, s’il te plaît ».

mercredi 25 avril 2012

HISTOIRE SANS JEU

JEan-Pierre Castaldi était devenu maire d’une petite commune désertique près d’Avignon. À l’aide d’une échelle, il montait fièrement, au-dessus d’un bar miteux, une enseigne au nom de la ville, homonyme d’un département du Sud de la France : avaient rompu les accords de financement annuels certains conseillers régionaux, et tandis qu’une forte rivalité économique avait lieu avec le bled voisin, l’acteur se plaignait d’un énorme manque de contribution au budget de la municipalité. Il le revendiquait vivement sur la place publique, avec un rictus bizarre qui lui grossissait les lèvres, déformées.


Pendant ce temps, les billets de 300 euros existaient. Castaldi, en bon vivant devant l’éternel, tenait également un restaurant dans le patelin. Ce jour-là, sortant tout champêtrement de sa cuisine, il allait servir quatre femmes au coin de la salle, attablées devant une petite nappe provençale à grands carreaux bleus et blancs : trois vieilles filles de plus de cinquante ans, vêtues comme si elles en avaient quinze et aux cheveux décolorés, ainsi qu’une dame très âgée, édentée et impassible, ne bougeant pas et ne disant rien. En grand seigneur, l’ancienne gloire d’un immense succès de James Bond au cinéma leur apporta quelques plats tous à la fois avec entrain et énergie, dont une assiette supplémentaire de merguez :
« C’est pour vous ouvrir l’appétit, mesdemoiselles… Et la bouche », glissa Jean-Pierre.
Après le tour de la commande, le tarif allait sans doute passer.

mercredi 18 avril 2012

AMALGA(MA)

Le musée était majestueux. Bien plus qu’un simple bâtiment regorgeant d’infinies merveilles, l’édifice qui nous accueillait Elle et moi était magique. Ma sœur, peu enchantée par cette visite, avait choisi d’attendre à l’extérieur, tandis que moi, dedans, je me sentais beaucoup plus être ailleurs, paradoxalement. Les patios, les statues, le marbre blanc me plongeaient blanc dans un environnement unique.
À un moment je me retrouvai seul. Je traversais une galerie de baies vitrées quand je sortis dans un jardin carré, dans lequel la nuit tomba tout d’un coup. Là je vis une vieille femme andine à la peau foncée, qui me demanda de la suivre. Je ne comprenais pas son langage mais j’essayais de ne pas la perdre de vue, en suivant sa route qui menait au sommet d’une montagne de roches noires. Le ciel était devenu rouge vif, comme un de ses vêtements traditionnels, mais malgré sa volonté de me parler, je ne pouvais saisir le moindre mot de son sermon. Puis elle disparut au beau milieu de ce néant, pourtant sous les étoiles, qui s’adressaient à moi elles aussi.
Elle, avait rejoint ma sœur dehors car j’étais devenu trop ennuyant dans ce musée à air libre, et que je lui avais récité par cœur l’histoire de quelque chose qui ne l’intéressait pas. Selon ses dires, j’étais même passé à deux doigts de la rupture puisqu’en plus de ça, je m’étais apparemment permis de sortir une plaisanterie mal placée, jugée abjecte. Elle m’en voulait et ma sœur semblait lui donner raison. Moi, je ne me souvenais de rien.
En sortant du palais je fus pris dans une fourmilière de gens dans les couloirs. J’avais envie de passer mes nerfs et d’agresser le premier venu, ce que je tentai en provoquant chaque personne dans la bousculade des escaliers. Cela porta vite ses fruits et rapidement, deux mecs s’énervèrent après que je leur aie assené un coup de coude violent. Rien n’aboutit avec ces deux roquets, si ce n’est un insistant regard meurtrier de leur part. De toute façon, je n’attendais que ça, et ignore toujours pourquoi je ne les ai pas frappés à cet instant précis.


J’arrivai ainsi dans une cour d’école, qui étrangement me rappelait de lointains souvenirs d’enfance. La foule s’éparpillait. Soudain, deux jeunes filles et un type du même âge arrivèrent devant moi pour m’apostropher avec colère, vraisemblablement à cause de mon comportement à la sortie du musée. L’une, petite, laide et quasiment obèse me crachait son venin à la gueule en me regardant droit dans les yeux. L’autre, discrète et gênée, paraissait plutôt accompagner les deux autres contre son propre gré. Elle ne disait mot, tout comme ce mec imposant qui me semblait plus que très familier. En fait, il me rappelait mon ancien voisin, dont j’étais très proche lorsque nous étions très jeunes.
Au bout d’un moment je ne tins plus, et me lançai avec une vitesse que seule la fureur pouvait m’avoir donné, j’attrapai la petite grosse par derrière et lui tordit le cou jusqu’à la faire hurler à la Mort, à terre. Et là, je réalisais ce que je venais de faire, et avant de penser à d’éventuels remords, craignant des représailles ou l’intervention de son compagnon ou d’une personne extérieure, je laissai là la rombière qui m’implorait d’arrêter. Je sentais que quelqu’un était sur le point d’arriver, aussi je voulus décamper au plus vite, mais le gars que je pensais connaître s’interposa brutalement et m’empêcha de partir. À voix basse et avec un regard malsain, il me promit de me laisser m’en aller à condition que je donne un petit baiser à lui et son amie. Extrêmement surpris mais tout en autant en hâte, je m’exécutai, et posai mes lèvres avec résignation sur celles de la fille à qui je venais de briser le cou. Puis vint le tour du mec, dont j’essayai d’éviter la bouche charnue : malheureusement, il me rattrapa dans mon élan et colla sa pute de bouche sur la mienne alors que je visais sa joue. Puis je partis. Cordialement, au revoir.

mercredi 11 avril 2012

MEANING NEW

Je me trouvais au Mexique, entre falaises et roches couleur feu, devant un lagon vert. J’avais une pensée pour Monsieur C, dont on disait qu’il avait une moustache d’acteur porno chicano. Finalement, sa pilosité avait récemment énormément progressé, et il était presque devenu un véritable barbu. Comme moi. J’attribuai ça à ses nouvelles fréquentations, car sa barbe se faisait peu à peu grise et épaisse. Je l’imaginais avec son éternel blouson en cuir, paraissant avoir trente ans de plus.
Je revenais au paysage, absorbé par l’eau devant moi. Le Soleil se reflétait en elle, grossi comme dans une énorme loupe. Il avait changé d’apparence : à se demander s’il ne s’agissait pas de la Lune, mais le ciel bleu caractéristique du zénith de la journée infirmait sans doute cette supposition. C’était comme si tous les éléments du Monde étaient réunis en cet endroit : le feu de l’Astre et des falaises, les étoiles, la terre sableuse, et Elle, non loin. Face au lagon, je tentai d’évaluer sa profondeur. Un doute affreux me traversa brutalement l’esprit ; je craignais que sous la surface se trouve une fosse abyssale de plusieurs milliers de mètres, à pic, malgré la tranquillité extrême de cet endroit magnifique. Comme si en ce lieu, l’on pouvait passer du Paradis serein à l’Enfer froid et liquide, dans les ténèbres. Batophobe depuis l’enfance, je reculai prudemment, en regardant la foule de touristes autour de moi qui allaient en riant s’enfoncer dans la belle eau verdâtre, qui paraissait nous appeler. Mes doutes, mes peurs et moi-même préférions rester sur nos gardes et nous en tenir à cette merveilleuse première impression.


Elle, avait un plan à me proposer : rejoindre le centre de la mégalopole la plus proche via une sorte de souterrain aménagé pour relier les montagnes à la cité, passage obligatoire prisé par une bonne partie de la masse grouillante de voyageurs. L’idée ne m’enchantait que très peu, mais un appel virtuel de son père et de son frère, Monsieur J, sonna comme une recommandation d’un truc à ne louper sous aucun prétexte. Alors que le programme m’était imposé, je n’arrivais même pas à comprendre s’ils venaient d’emprunter le parcours tant conseillé (et qu’ils se trouvaient par conséquent en ville, dans le même pays que nous au même moment, comme s’il s’agissait d’une surprise) ou s’ils nous donnaient simplement leur avis depuis l’autre bout du monde. Peu importe, elle me montra la carte (sur laquelle je pus voir un gigantesque édifice moderne qui représentait le centre-ville), ce qui était à la fois un ordre et une invitation à la suivre. J’avais du mal à croire que l’on puisse rallier deux points autant éloignés en empruntant une simple voie touristique, sous terre en plus ! Aussi je la suivis à contrecœur.
Le chemin commençait en haut d’une de ces falaises qui encerclaient le lagon vert, et qu’il fallait contourner en descente. Le dénivelé était très accidenté et étroit, et j’avais du mal à ne pas être énervé par le vide à ma droite et les cailloux sous mes pieds, tandis que je manquais de chuter à chaque pas, et qu’Elle avançait sans le moindre problème. À chaque rocher qui dégringolait, je râlais. À la traîne, elle m’encourageait un brin exaspérée, armée de sa carte et de son caractère exigeant, alors que j’avais plutôt envie de faire demi-tour. Soudain, sans que je comprenne véritablement comment, nous nous retrouvâmes dans un hallucinant tunnel, indescriptible, anachronique ; entre les catacombes précolombiennes et le complexe militaire futuriste. Il y avait beaucoup de gens agglutinés aux parois des murs d’un blanc jauni que je n’avais vu, faits avec un matériau que je ne connaissais pas et qui semblait provenir d’une autre planète. Les curieux avançaient rapidement le long des vitres énormes qui contenaient chacune quelque vestige du passé ou du futur. Le souterrain, bien qu’étroit, avait des allures de musée aux dimensions incroyables. Elle, toujours devant, ne disait mot et ne se retournait pas. Je devais la ralentir encore plus, à regarder partout autour de moi sans rien comprendre dans ce stupéfiant labyrinthe linéaire. Par moments, la lumière manquait ; d’autres fois, les néons éclairement divinement certains recoins du couloir interminable.
Et c’est à ce moment-là que je vis, incrédule, une immense table sur laquelle étaient exposés des dizaines et des dizaines de poissons morts : noirs pour la plupart, presque tous la bouche ouverte, me fixant même si je m’éloignais de la pièce, avec un regard plus insistant que cent putains de Mona Lisa. Baignant dans un sang visqueux et sombre, et dans de l’encre, il y en avait de toutes les tailles, de tous les poids et de toutes les nageoires possibles. Gêné et mal à l’aise devant ce spectacle aussi effrayant qu’irréel, je crus comprendre, en écoutant autour de moi, que je longeais le Pacifique et ses failles, et qu’à ce moment-même je me trouvais sous l’océan. Comme si cette salle matérialisait ce qui se passait au-delà des murs.


Moi, j’avais perdu ma bien-aimée. Je ne savais plus où elle était ni combien de kilomètres j’avais parcourus. Alors, en continuant la traversée du tunnel, je décidai de faire étape dans une issue de secours qui se trouvait au bord de la route. J’étais dans une maison qui semblait être la mienne, et je ne voulus pas rester là tant la ressemblance me perturbait, tant l’incompréhension me gagnait. À l’étage se disputait un match de basket dans une ambiance survoltée. L’équipe verte écrasait littéralement les joueurs adverses, notamment grâce à son meneur vedette en triple-double ce soir-là. Je ne voulus pas prendre part au spectacle et continuai à chercher ma fiancée. Du moins, je croyais qu’on l’était. Au hasard d’une autre issue de secours, je tombai surpris, sur Mademoiselle F, qui me demanda de m’allonger près d’elle pour que je lui raconte mes rêves. Son sourire et ses avances me suffirent la laisser seule. Au bout de plusieurs heures dans le souterrain, je la retrouvai Elle, assise sur la banquette d’un bar ; sirotant tranquillement un cocktail, elle n’avait pas l’air de s’être souciée d’où j’étais passé. L’échange fut bref, presque inexistant et sourd. Les seuls sons que je percevais étaient ceux d’une musique lounge de mauvais goût. Aux murs, quelques écrans rediffusaient les meilleurs moments du match que j’avais raté. Elle me paraissait froide.
Puis elle me montra sur la carte le point où nous nous trouvions, et tout ce que nous avions parcouru. Je n’en revenais pas. Curieusement, je distinguai sur le plan des noms en anglais, sans que je m’y attende, dont celui du souterrain duquel nous n’étions toujours pas sortis : MEANING NEW. Le centre-ville semblait encore être à des centaines de lieues de là, comme l’indiquait cette carte à laquelle je ne comprenais strictement rien. Malgré l’obscurité du bar à l’éclairage vermeil, je pus voir au fond des fenêtres qui offraient une vue sur l’océan et le ciel qui ne formaient qu’une seule et même échappatoire azure.


Apparemment, il existait dans ce complexe un moyen de transport rapide qui permettait de rejoindre au plus vite l’endroit que nous voulions atteindre. Alors selon ses conseils, nous primes cet espèce de wagon-restaurant chic à grande-vitesse qui traversait je-ne-sais quoi à un rythme et une vélocité que l’on ne pouvait percevoir. Elle s’attabla face à moi tandis que le compartiment se remplissait de touristes. À ma droite s’assit un petit bonhomme brun à lunettes, tout mou et ressemblant à un grand socialiste français du XXIe siècle. Cordial et quelque peu renard, il salua ma douce, qui le lui rendit. On nous apporta des plats pendant le transport. Alors j’assistai depuis cette gigantesque table de bois tout en longueur, à une scène incroyable. Elle, captivait toute l’audience avec son magnifique sourire, ses gestes et son intelligence. Au gré du dialogue et des discours, je remarquai, étonné, à quel point son espagnol était devenu fluide et parfait. Et alors qu’elle partait dans un débat ennuyant avec le rat à lunettes, subjugué et admiratif, elle ne m’adressait pas le moindre mot ni le moindre regard durant tout le trajet : je n’existais plus.


Arrivés à destination dans une sorte de gare souterraine, Elle m’interpella.
« Tu ne trouves pas charmant cet homme avec qui j’ai échangé pendant une heure ? »
L’attaque de nerfs avait été provoquée : je laissai alors s’évacuer toute ma colère et ma rancune sur Elle, lui recommandant d’aller se faire foutre et de rejoindre ce vieux mulot de bibliothèque. Et je l’abandonnai là, m’enfuyant pour trouver un endroit où je pourrais soulager une envie pressante d’uriner. Mais les toilettes étaient dans un état désastreux. Ainsi, cherchant une issue, je trouvai un escalier qui me ramena rapidement à la surface. J’étais apparu au beau milieu de la mégalopole, dans une petite rue sans arbres qui cachait la forêt de béton que je sentais si proche. Malgré la joie de me retrouver à l’air libre, je ne pouvais plus tenir. Sans réfléchir, comme un vandale je forçai sans problème la porte du premier café à proximité. Il n’y avait personne à l’intérieur. L’endroit ressemblait à une tetería du Maghreb. Après avoir trouvé les toilettes de l’établissement désert, j’hésitai longtemps entre deux portes aux écriteaux rédigés en arabe : leur traduction indiquait "masculins" d’un côté, "machistes" de l’autre. Je choisis la première.
Une fois soulagé, je me sentais fier de mon effraction, et j’avais le sentiment de faire un pied de nez au monde entier. Je sortis et respirai à pleins poumons, un sourire narquois aux lèvres, jusqu’à ce que je voie débouler sous mes yeux un homme fuyant à toute vitesse sur un scooter, armé d’un pistolet avec lequel il tirait vers le ciel, ayant vraisemblablement commis un acte nettement plus répréhensible que moi. À cet instant et après tout ça, je crois que je voulus être lui.