mercredi 25 avril 2012

HISTOIRE SANS JEU

JEan-Pierre Castaldi était devenu maire d’une petite commune désertique près d’Avignon. À l’aide d’une échelle, il montait fièrement, au-dessus d’un bar miteux, une enseigne au nom de la ville, homonyme d’un département du Sud de la France : avaient rompu les accords de financement annuels certains conseillers régionaux, et tandis qu’une forte rivalité économique avait lieu avec le bled voisin, l’acteur se plaignait d’un énorme manque de contribution au budget de la municipalité. Il le revendiquait vivement sur la place publique, avec un rictus bizarre qui lui grossissait les lèvres, déformées.


Pendant ce temps, les billets de 300 euros existaient. Castaldi, en bon vivant devant l’éternel, tenait également un restaurant dans le patelin. Ce jour-là, sortant tout champêtrement de sa cuisine, il allait servir quatre femmes au coin de la salle, attablées devant une petite nappe provençale à grands carreaux bleus et blancs : trois vieilles filles de plus de cinquante ans, vêtues comme si elles en avaient quinze et aux cheveux décolorés, ainsi qu’une dame très âgée, édentée et impassible, ne bougeant pas et ne disant rien. En grand seigneur, l’ancienne gloire d’un immense succès de James Bond au cinéma leur apporta quelques plats tous à la fois avec entrain et énergie, dont une assiette supplémentaire de merguez :
« C’est pour vous ouvrir l’appétit, mesdemoiselles… Et la bouche », glissa Jean-Pierre.
Après le tour de la commande, le tarif allait sans doute passer.

mercredi 18 avril 2012

AMALGA(MA)

Le musée était majestueux. Bien plus qu’un simple bâtiment regorgeant d’infinies merveilles, l’édifice qui nous accueillait Elle et moi était magique. Ma sœur, peu enchantée par cette visite, avait choisi d’attendre à l’extérieur, tandis que moi, dedans, je me sentais beaucoup plus être ailleurs, paradoxalement. Les patios, les statues, le marbre blanc me plongeaient blanc dans un environnement unique.
À un moment je me retrouvai seul. Je traversais une galerie de baies vitrées quand je sortis dans un jardin carré, dans lequel la nuit tomba tout d’un coup. Là je vis une vieille femme andine à la peau foncée, qui me demanda de la suivre. Je ne comprenais pas son langage mais j’essayais de ne pas la perdre de vue, en suivant sa route qui menait au sommet d’une montagne de roches noires. Le ciel était devenu rouge vif, comme un de ses vêtements traditionnels, mais malgré sa volonté de me parler, je ne pouvais saisir le moindre mot de son sermon. Puis elle disparut au beau milieu de ce néant, pourtant sous les étoiles, qui s’adressaient à moi elles aussi.
Elle, avait rejoint ma sœur dehors car j’étais devenu trop ennuyant dans ce musée à air libre, et que je lui avais récité par cœur l’histoire de quelque chose qui ne l’intéressait pas. Selon ses dires, j’étais même passé à deux doigts de la rupture puisqu’en plus de ça, je m’étais apparemment permis de sortir une plaisanterie mal placée, jugée abjecte. Elle m’en voulait et ma sœur semblait lui donner raison. Moi, je ne me souvenais de rien.
En sortant du palais je fus pris dans une fourmilière de gens dans les couloirs. J’avais envie de passer mes nerfs et d’agresser le premier venu, ce que je tentai en provoquant chaque personne dans la bousculade des escaliers. Cela porta vite ses fruits et rapidement, deux mecs s’énervèrent après que je leur aie assené un coup de coude violent. Rien n’aboutit avec ces deux roquets, si ce n’est un insistant regard meurtrier de leur part. De toute façon, je n’attendais que ça, et ignore toujours pourquoi je ne les ai pas frappés à cet instant précis.


J’arrivai ainsi dans une cour d’école, qui étrangement me rappelait de lointains souvenirs d’enfance. La foule s’éparpillait. Soudain, deux jeunes filles et un type du même âge arrivèrent devant moi pour m’apostropher avec colère, vraisemblablement à cause de mon comportement à la sortie du musée. L’une, petite, laide et quasiment obèse me crachait son venin à la gueule en me regardant droit dans les yeux. L’autre, discrète et gênée, paraissait plutôt accompagner les deux autres contre son propre gré. Elle ne disait mot, tout comme ce mec imposant qui me semblait plus que très familier. En fait, il me rappelait mon ancien voisin, dont j’étais très proche lorsque nous étions très jeunes.
Au bout d’un moment je ne tins plus, et me lançai avec une vitesse que seule la fureur pouvait m’avoir donné, j’attrapai la petite grosse par derrière et lui tordit le cou jusqu’à la faire hurler à la Mort, à terre. Et là, je réalisais ce que je venais de faire, et avant de penser à d’éventuels remords, craignant des représailles ou l’intervention de son compagnon ou d’une personne extérieure, je laissai là la rombière qui m’implorait d’arrêter. Je sentais que quelqu’un était sur le point d’arriver, aussi je voulus décamper au plus vite, mais le gars que je pensais connaître s’interposa brutalement et m’empêcha de partir. À voix basse et avec un regard malsain, il me promit de me laisser m’en aller à condition que je donne un petit baiser à lui et son amie. Extrêmement surpris mais tout en autant en hâte, je m’exécutai, et posai mes lèvres avec résignation sur celles de la fille à qui je venais de briser le cou. Puis vint le tour du mec, dont j’essayai d’éviter la bouche charnue : malheureusement, il me rattrapa dans mon élan et colla sa pute de bouche sur la mienne alors que je visais sa joue. Puis je partis. Cordialement, au revoir.

mercredi 11 avril 2012

MEANING NEW

Je me trouvais au Mexique, entre falaises et roches couleur feu, devant un lagon vert. J’avais une pensée pour Monsieur C, dont on disait qu’il avait une moustache d’acteur porno chicano. Finalement, sa pilosité avait récemment énormément progressé, et il était presque devenu un véritable barbu. Comme moi. J’attribuai ça à ses nouvelles fréquentations, car sa barbe se faisait peu à peu grise et épaisse. Je l’imaginais avec son éternel blouson en cuir, paraissant avoir trente ans de plus.
Je revenais au paysage, absorbé par l’eau devant moi. Le Soleil se reflétait en elle, grossi comme dans une énorme loupe. Il avait changé d’apparence : à se demander s’il ne s’agissait pas de la Lune, mais le ciel bleu caractéristique du zénith de la journée infirmait sans doute cette supposition. C’était comme si tous les éléments du Monde étaient réunis en cet endroit : le feu de l’Astre et des falaises, les étoiles, la terre sableuse, et Elle, non loin. Face au lagon, je tentai d’évaluer sa profondeur. Un doute affreux me traversa brutalement l’esprit ; je craignais que sous la surface se trouve une fosse abyssale de plusieurs milliers de mètres, à pic, malgré la tranquillité extrême de cet endroit magnifique. Comme si en ce lieu, l’on pouvait passer du Paradis serein à l’Enfer froid et liquide, dans les ténèbres. Batophobe depuis l’enfance, je reculai prudemment, en regardant la foule de touristes autour de moi qui allaient en riant s’enfoncer dans la belle eau verdâtre, qui paraissait nous appeler. Mes doutes, mes peurs et moi-même préférions rester sur nos gardes et nous en tenir à cette merveilleuse première impression.


Elle, avait un plan à me proposer : rejoindre le centre de la mégalopole la plus proche via une sorte de souterrain aménagé pour relier les montagnes à la cité, passage obligatoire prisé par une bonne partie de la masse grouillante de voyageurs. L’idée ne m’enchantait que très peu, mais un appel virtuel de son père et de son frère, Monsieur J, sonna comme une recommandation d’un truc à ne louper sous aucun prétexte. Alors que le programme m’était imposé, je n’arrivais même pas à comprendre s’ils venaient d’emprunter le parcours tant conseillé (et qu’ils se trouvaient par conséquent en ville, dans le même pays que nous au même moment, comme s’il s’agissait d’une surprise) ou s’ils nous donnaient simplement leur avis depuis l’autre bout du monde. Peu importe, elle me montra la carte (sur laquelle je pus voir un gigantesque édifice moderne qui représentait le centre-ville), ce qui était à la fois un ordre et une invitation à la suivre. J’avais du mal à croire que l’on puisse rallier deux points autant éloignés en empruntant une simple voie touristique, sous terre en plus ! Aussi je la suivis à contrecœur.
Le chemin commençait en haut d’une de ces falaises qui encerclaient le lagon vert, et qu’il fallait contourner en descente. Le dénivelé était très accidenté et étroit, et j’avais du mal à ne pas être énervé par le vide à ma droite et les cailloux sous mes pieds, tandis que je manquais de chuter à chaque pas, et qu’Elle avançait sans le moindre problème. À chaque rocher qui dégringolait, je râlais. À la traîne, elle m’encourageait un brin exaspérée, armée de sa carte et de son caractère exigeant, alors que j’avais plutôt envie de faire demi-tour. Soudain, sans que je comprenne véritablement comment, nous nous retrouvâmes dans un hallucinant tunnel, indescriptible, anachronique ; entre les catacombes précolombiennes et le complexe militaire futuriste. Il y avait beaucoup de gens agglutinés aux parois des murs d’un blanc jauni que je n’avais vu, faits avec un matériau que je ne connaissais pas et qui semblait provenir d’une autre planète. Les curieux avançaient rapidement le long des vitres énormes qui contenaient chacune quelque vestige du passé ou du futur. Le souterrain, bien qu’étroit, avait des allures de musée aux dimensions incroyables. Elle, toujours devant, ne disait mot et ne se retournait pas. Je devais la ralentir encore plus, à regarder partout autour de moi sans rien comprendre dans ce stupéfiant labyrinthe linéaire. Par moments, la lumière manquait ; d’autres fois, les néons éclairement divinement certains recoins du couloir interminable.
Et c’est à ce moment-là que je vis, incrédule, une immense table sur laquelle étaient exposés des dizaines et des dizaines de poissons morts : noirs pour la plupart, presque tous la bouche ouverte, me fixant même si je m’éloignais de la pièce, avec un regard plus insistant que cent putains de Mona Lisa. Baignant dans un sang visqueux et sombre, et dans de l’encre, il y en avait de toutes les tailles, de tous les poids et de toutes les nageoires possibles. Gêné et mal à l’aise devant ce spectacle aussi effrayant qu’irréel, je crus comprendre, en écoutant autour de moi, que je longeais le Pacifique et ses failles, et qu’à ce moment-même je me trouvais sous l’océan. Comme si cette salle matérialisait ce qui se passait au-delà des murs.


Moi, j’avais perdu ma bien-aimée. Je ne savais plus où elle était ni combien de kilomètres j’avais parcourus. Alors, en continuant la traversée du tunnel, je décidai de faire étape dans une issue de secours qui se trouvait au bord de la route. J’étais dans une maison qui semblait être la mienne, et je ne voulus pas rester là tant la ressemblance me perturbait, tant l’incompréhension me gagnait. À l’étage se disputait un match de basket dans une ambiance survoltée. L’équipe verte écrasait littéralement les joueurs adverses, notamment grâce à son meneur vedette en triple-double ce soir-là. Je ne voulus pas prendre part au spectacle et continuai à chercher ma fiancée. Du moins, je croyais qu’on l’était. Au hasard d’une autre issue de secours, je tombai surpris, sur Mademoiselle F, qui me demanda de m’allonger près d’elle pour que je lui raconte mes rêves. Son sourire et ses avances me suffirent la laisser seule. Au bout de plusieurs heures dans le souterrain, je la retrouvai Elle, assise sur la banquette d’un bar ; sirotant tranquillement un cocktail, elle n’avait pas l’air de s’être souciée d’où j’étais passé. L’échange fut bref, presque inexistant et sourd. Les seuls sons que je percevais étaient ceux d’une musique lounge de mauvais goût. Aux murs, quelques écrans rediffusaient les meilleurs moments du match que j’avais raté. Elle me paraissait froide.
Puis elle me montra sur la carte le point où nous nous trouvions, et tout ce que nous avions parcouru. Je n’en revenais pas. Curieusement, je distinguai sur le plan des noms en anglais, sans que je m’y attende, dont celui du souterrain duquel nous n’étions toujours pas sortis : MEANING NEW. Le centre-ville semblait encore être à des centaines de lieues de là, comme l’indiquait cette carte à laquelle je ne comprenais strictement rien. Malgré l’obscurité du bar à l’éclairage vermeil, je pus voir au fond des fenêtres qui offraient une vue sur l’océan et le ciel qui ne formaient qu’une seule et même échappatoire azure.


Apparemment, il existait dans ce complexe un moyen de transport rapide qui permettait de rejoindre au plus vite l’endroit que nous voulions atteindre. Alors selon ses conseils, nous primes cet espèce de wagon-restaurant chic à grande-vitesse qui traversait je-ne-sais quoi à un rythme et une vélocité que l’on ne pouvait percevoir. Elle s’attabla face à moi tandis que le compartiment se remplissait de touristes. À ma droite s’assit un petit bonhomme brun à lunettes, tout mou et ressemblant à un grand socialiste français du XXIe siècle. Cordial et quelque peu renard, il salua ma douce, qui le lui rendit. On nous apporta des plats pendant le transport. Alors j’assistai depuis cette gigantesque table de bois tout en longueur, à une scène incroyable. Elle, captivait toute l’audience avec son magnifique sourire, ses gestes et son intelligence. Au gré du dialogue et des discours, je remarquai, étonné, à quel point son espagnol était devenu fluide et parfait. Et alors qu’elle partait dans un débat ennuyant avec le rat à lunettes, subjugué et admiratif, elle ne m’adressait pas le moindre mot ni le moindre regard durant tout le trajet : je n’existais plus.


Arrivés à destination dans une sorte de gare souterraine, Elle m’interpella.
« Tu ne trouves pas charmant cet homme avec qui j’ai échangé pendant une heure ? »
L’attaque de nerfs avait été provoquée : je laissai alors s’évacuer toute ma colère et ma rancune sur Elle, lui recommandant d’aller se faire foutre et de rejoindre ce vieux mulot de bibliothèque. Et je l’abandonnai là, m’enfuyant pour trouver un endroit où je pourrais soulager une envie pressante d’uriner. Mais les toilettes étaient dans un état désastreux. Ainsi, cherchant une issue, je trouvai un escalier qui me ramena rapidement à la surface. J’étais apparu au beau milieu de la mégalopole, dans une petite rue sans arbres qui cachait la forêt de béton que je sentais si proche. Malgré la joie de me retrouver à l’air libre, je ne pouvais plus tenir. Sans réfléchir, comme un vandale je forçai sans problème la porte du premier café à proximité. Il n’y avait personne à l’intérieur. L’endroit ressemblait à une tetería du Maghreb. Après avoir trouvé les toilettes de l’établissement désert, j’hésitai longtemps entre deux portes aux écriteaux rédigés en arabe : leur traduction indiquait "masculins" d’un côté, "machistes" de l’autre. Je choisis la première.
Une fois soulagé, je me sentais fier de mon effraction, et j’avais le sentiment de faire un pied de nez au monde entier. Je sortis et respirai à pleins poumons, un sourire narquois aux lèvres, jusqu’à ce que je voie débouler sous mes yeux un homme fuyant à toute vitesse sur un scooter, armé d’un pistolet avec lequel il tirait vers le ciel, ayant vraisemblablement commis un acte nettement plus répréhensible que moi. À cet instant et après tout ça, je crois que je voulus être lui.

mercredi 4 avril 2012

DANS LE SILLAGE DE POSÉIDON

Un appartement magnifique et lumineux surplombant le Guadalquivir. J’avais passé une soirée trop arrosée avec Monsieur G et Monsieur T dans un espèce de vieux local poussiéreux, alors je m’étais mis en quête d’un logement. Le couple de propriétaires d’un certain âge, aristocrates inactifs et insupportables, me faisait visiter. Moi, je n’avais d’yeux que pour la baie vitrée qui donnait sur le fleuve, et m’en approchai, émerveillé.
Sur le balcon, j’assistai à un des plus beaux spectacles de ma vie. C’était comme si toutes les eaux du monde se trouvaient devant moi, comme une immense étendue de liquide bleu conduisant vers l’infini. Le Soleil illuminait ce point de vue merveilleux, et je ne reconnaissais pas le Guadalquivir, d’ordinaire calme et légèrement verdâtre. Pourtant, on m’avait assuré que c’était lui. De là où j’étais, je ne pouvais distinguer la moindre forme de vie humaine ni la plus anecdotique végétation. Tout n’était qu’azur. Ou presque : un immense pont de couleur rose avait été érigé à cet endroit-là, depuis le balcon, et l’œuvre titanesque semblait relier l’appartement à un monde qui n’existait pas, ou au néant le plus total, comme si l’univers se fût achevé après cet horizon aquatique.


Sans que je sache pourquoi, agacé par les tergiversions des deux propriétaires, je sautai du haut de mon plongeoir de marbre. Ce fut une longue chute vers un fleuve devenu océan et un monde qui m’effrayait, celui de la profondeur. Après le choc de l’immersion, je fus soudain pris de panique, réalisant ce que je venais de faire et là où je me trouvais, seul au milieu d’un nulle part entre les vagues et l’abysse. À la surface, je crus apercevoir au loin le rivage, qui n’était qu’un léger coup de crayon à des kilomètres de là. Et alors, tourmenté par les remous violents qui me faisaient face, je tentai tant bien que mal de nager pour espérer regagner la terre, malgré le courant et les vents contraires. C’est à ce moment-là qu’à contresens, je vis des hommes traverser les rouleaux, comme par défi sportif, chacun avec un chronomètre à la main. Après qu’ils m’aient dépassé et laissé derrière eux, à l’agonie dans cet enfer magnifique, une vague m’emporta. Je ne me réveillais que bien plus tard.

mardi 3 avril 2012

AU BORD DU PRÉCIPICE, VERS LES TENTACULES

Je portais une belle chemise bleue à manches longues ; cela faisait un moment que j’en cherchais une comme ça. Ma famille s’était réunie pour une cérémonie en l’honneur de mon grand-père. Nous formions un demi-cercle en forme de U autour de la table du salon, qui était également devenu un jardin. Moi je faisais partie du centre, et face à moi se tenait le prêtre.
Il y avait une jolie musique et des belles paroles, toujours ces mêmes belles paroles… Je ne les écoutais pas, droit comme un I et les mains jointes devant moi. Apparemment, ma sœur et ma mère non plus, à ma gauche et à ma droite. C’est là qu’un énorme fou rire nous prit, un fou rire communicatif, droit dans les yeux, que nous essayions de rendre furtif, sous les yeux inquisiteurs du curé… Dans un tel moment, cette complicité familiale me rendait heureux. En même temps, comment ne pas éclater de rire en écoutant ce baratin clérical, hypocrite et maintes fois réchauffé ? J’essayais pourtant de lutter contre le rire nerveux, le cacher, mais j’étais en ligne de mire. Et quand le prêtre lâcha un son d’orgue devant son auditoire à la tête baissée, ce fut tout simplement une explosion de rire dans nos barbes, surtout la mienne, que nous tentions de contrôler. Les yeux du cureton devenaient rouges et me fusillaient, moi, face à lui, me procurant cette sensation de n’être qu’un putain de renégat. J’en étais fier. Jusqu’à ce que je comprenne que mon manque de tenue faisait du mal à ma grand-mère et un de mes oncles, déçus tous deux de ma malséance et de mon attitude irrespectueuse et blasphématoire pendant cette cérémonie qui me semblait occulte. La mère et le fils ne prononcèrent pas une parole mais leur silence en disait beaucoup plus long.



Je décidai donc d’enfouir tous mes souvenirs dans un coffre que je déposerais au fond de la mer. Quand tout fut prêt, j’avançai en nageant vers le large, avec la boîte, non sans mal. Je m’arrêtai à la hauteur d’un énorme paquebot amarré à cet endroit. La tête hors de l’eau et collé à sa paroi, sa coque me semblait immensément grande. Sous mes pieds battant, je pouvais voir le fond, du sable et des cailloux rouges qui ne me paraissaient pas être si bas. Le vent se leva : une tempête s’annonçait alors que je recevais des grosses gouttes de pluie sur le visage. C’était une sensation horrible que d’être au milieu de nulle part adossé à la paroi d’un géant d’acier que l’écume rendait verte, sans savoir ce qu’il y avait en-dessous. Comme au bord d’un précipice.
J’hésitai à plonger quand soudain, un visage et une voix de femme m’apparurent hors de l’eau, familiers, sans que je puisse mettre un nom sur cette étrange apparition. Affectueusement, elle m’expliqua que je n’avais rien à craindre de la profondeur, car un de mes ancêtres était un cachalot, et que par conséquent je pouvais descendre très bas sans aucun problème. J’étais tellement rassuré et enthousiaste que je voulais prendre dans mes bras cette inconnue qui ne l’était pas tant que ça, et plongeai sous le bateau. Arrivé en bas, je constatai des grillages individuels qui devaient être des geôles sous-marines. Je ne me souviens pas de quand je remontai à la surface…