mardi 27 mars 2012

L'AMAS QUI CRACHE SUR NOS TOMBES (BORIS VIAN II)

C’était le coup d’envoi de la saison. Mais pas seulement ; ce match de foot avait un enjeu important, une saveur particulière car synonyme de renouveau.
Je venais soutenir le club de ma ville de cœur. Ce soir-là, l’accueil se fit dans l’aéroport le plus proche, et il fallait traverser un long couloir pour rejoindre la zone d’accès aux tribunes. Juste avant celles-ci, on avait érigé un espèce de musée aux couleurs du club dans une salle religieusement éclairée. Il y avait beaucoup de monde, des supporters, des non-supporters, des familles, des vigiles des curieux. Dans la foule je me frayai un chemin et je pus constater la nouvelle touche d’originalité : des maquettes avaient été construites et posées dans le dernier recoin de la salle, protégées par une vitrine. Il y en avait deux côte à côte, ou face à face, et elles étaient censées représenter à échelle réduire les deux municipalités dont les clubs s’affronteraient sur la pelouse. Au-dessus de chacune était placardé un tableau avec la composition des équipes.
Le problème, c’est que je ne reconnus pas ma si belle ville, avec ses bâtiments et ses collines miniatures, ainsi que ses faux arbres. Même si tout était parfaitement disposé, je ne parvenais qu’à distinguer le château, et encore. Les palmiers avaient même été amputés ! Où Diable étaient-ils ? Puis je compris petit à petit, l’explication était toute simple : on avait mélangé les maquettes consacrées aux deux villes. Quelle honte ! Comment avait-on pu confondre un patelin de consanguins aussi froid et terne que le leur avec ma belle cité d’azur ? J’eus envie de blâmer les architectes de bac à sable, ou bien les dirigeants du club ; et pourtant, un simple coup d’œil sur le tableau rouge et noir me confirma qu’il s’agissait de ma ville et de l’équipe que j’aimais supporter : bizarrement, beaucoup de noms avaient été remplacés mais je pus reconnaître des patronymes locaux de joueurs inconnus (dont un "Lou quelque chose", en nom composé).



Et puis ce fut un véritable chemin de croix pour accéder aux tribunes. J’avais dû me tromper dans les indications car j’atterris dans une vieille baraque typique, traversai un long couloir en bois avant de me retrouver au pied d’un escalier sombre. Quelques marches plus haut, deux types peu chaleureux zonaient en plein milieu. Ils me laissèrent passer sans prêter la moindre attention à moi ; je n’eus même pas le temps de voir leur visage. À l’étage vivait une vieille très sympathique dans un appartement pittoresque, avec les volets si caractéristiques de la région fermés pour éviter que le Soleil ne rentre. Avec un sourire, elle m’indiqua une porte qui devait mener quelque part sur le stade.
Malheureusement j’apparus en plein milieu de l’aéroport. Il était vide. Entièrement. J’étais seul devant une étendue de néant ; les énormes néons des plafonds, à plusieurs dizaines de mètres de moi au-dessus du sol, gentiment m’accompagnaient. C’était un sentiment indéfinissable, l’impression d’être libre tout en étant perdu, alors que je contemplais l’enceinte gigantesque en étant persuadé d’être seul au monde, à présent. Et en retard. Alors je me hâtai et courus comme un dératé vers la sortie la plus proche.
Une fois à l’air libre, je tombai sur un jardin dans lequel se célébrait vraisemblablement une messe. Il était entouré de cyprès et en plein milieu traînait une fontaine. À l’autre bout du jardin, je pouvais apercevoir une sorte de passage dans un tunnel noir. Bizarrement, il faisait encore à peu près jour ici, bien que le ciel fût gris au possible. Avec une certaine lueur néanmoins. Je traversai donc le terrain, rassuré par des panneaux indiquant le chemin vers des toilettes et la sortie, avec des flèches. Pour quitter l’endroit, je dus contourner la messe mais en montant quelques marches, je me retrouvai au beau milieu d’une espèce de placette servant d’estrade au curé, qui m’apostropha alors que je passais devant un énorme coffre en bois :
« Ça, c’est le cercueil de ton grand-père », me fit-il en souriant après l’avoir pointé du doigt.
Il ne m’apprenait rien. Je le savais parfaitement. Je choisis de ne rien répondre à cet être insignifiant et quittai rapidement le jardin en m’engouffrant dans ce qui ressemblait à une entrée de station de métro.



À la sortie, je me retrouvai à nouveau dans la maison avec le couloir en bois, au bout duquel je vis encore une fois les deux mecs qui n’avaient pas bougé de l’escalier. Je ne comprenais plus rien dans ce dédale invraisemblable. Je crus que cette fois-ci ils m’attendaient, mais il n’en fut rien alors que je montais les marches prudemment. Toujours impossible d’apercevoir ne serait-ce qu’un œil ou deux chez ces étranges personnages, dans la quasi-obscurité de la cage d’escalier. En haut, la vieille m’attendait, et me sourit à nouveau comme pour me dévoiler fièrement son absence de dentition. Mais comme je lui étais sympathique, elle me montra du doigt une autre porte, près de celle que j’avais empruntée. M’étais-je trompé d’issue ? Où m’avait-elle désigné la mauvaise, volontairement ou pas ? Je regardai celle que j’avais ouverte au préalable : dans le coin juste à côté, les volets étaient cette fois remontés. Par la fenêtre je pus voir d’énormes nuages noirs, s’agglutinant les uns sur les autres petit à petit à une vitesse terrifiante. Alors je pris l’autre porte, celle de gauche ; j’entendis des bruits et me retrouvai en haut d’une tribune latérale et pus enfin profiter du match.

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