mercredi 2 mai 2012

DES PETITS HOMMES VERTS, BLANCS ET ROUGES

Lorsque j’appris la nouvelle, j’étais en famille dans un bel appartement donnant sur la baie, magnifiquement éclairée cette nuit-là. Les extraterrestres avaient débarqué. Du moins, certains d’entre eux. L’événement ne provoqua pas plus d’émoi que ça : ceux qui étaient venus nous rendre visite étaient apparus près de la plage, s’installant peu à peu dans cette ville gigantesque. Il faut dire qu’ils nous étaient semblables en tous points ! Malgré un signe distinctif dont on m’avait parlé et que je n’arrivais pas à retenir, on aurait très bien pu ne pas différencier l’un des leurres d’un être humain. Ces extraterrestres venaient d’une région de leur planète équivalente à notre Italie. Ils étaient plutôt discrets et polis. Moi, je me suis lié d’amitié avec une ravissante envahisseuse aux cheveux rouges coupés très courts. Je me demande ce qu’elle est devenue par la suite…
Cependant, alors qu’il régnait sur le littoral un Soleil magnifique, j’avais l’impression qu’ils emmenaient avec eux les ténèbres… Un soir, alors que je m’apprêtais à aller dormir dans cette chambre inhabituelle et inconnue, je vis avec stupeur un étrange insecte sur le sol, se permettant des allers-retours audacieux entre mon lit et la salle de bain. Je n’avais jamais rien vu de tel : c’était une pince à cheveux géante sur pattes, d’une blancheur inouïe. J’espérais que ce soit une araignée, mais à en juger par le nombre de pattes dont elle disposait, le doute n’était pas possible. Un coup d’œil paniqué vers la fenêtre me fit comprendre comment le monstre était entré : les volets en bois, sans doute en mauvais état, avaient été si mal fermés qu’un immense passage s’était offert à lui, à l’horizontale. La seule chose à retenir, c’était qu’Elle avait encore et toujours du mal à comprendre ma phobie des insectes…


Le lendemain, je devais me rendre à la fac, car je devais effectuer une représentation dans une salle de cours, un concert sans instruments ni chant ni matériel, sans rien. Plein de potes à moi étaient venus pour l’occasion, et même certains curieux dont je me serais bien passé, comme cet insupportable Monsieur B et ses lunettes en écailles. Même ma mère était venue, et tous m’attendaient au fond de la salle.
Une prof myope arriva. Elle demande à toute l’assistance de former trois équipes à la tête desquelles chaque capitaine devait désigner un membre, comme à cette époque lointaine où l’on jouait au foot dans la cour de récré, étant gamins. Moi j’étais un des trois leaders. Il fallait également que l’on donne un nom à notre groupe, le moment rêvé pour que Monsieur K étale sa science pour l’équipe adverse, essayant d’attribuer un nom complexe et intelligent à sa troupe de sbires. Sa proposition contenait le mot "harmonía" sans que l’on sache pourquoi, ce qui attisa mon arrogance et ma moquerie envers mon rival roux : il ne parlait pas un traître mot d’espagnol.
Il me sembla que le but de la représentation était que chaque équipe doive reconnaître une chanson interprétée par chaque capitaine, mais je n’en sus rien. Car avant d’apprendre le principe de cette mascarade, un orage incroyable éclata. À cet instant je me tenais près de la fenêtre et il fallut lutter pour qu’elle ne blesse personne tant elle s’entrouvrait et se refermait dangereusement avec la violence hallucinante des vents. Les rideaux étaient arrachés. Dehors, la tempête emportait tout sur son passage : plantes, arbres, c’était la nature elle-même qui défilait sous mes yeux en faisant du rafting. À plusieurs centaines de kilomètres de là, mon ancien professeur de russe jubilait, et tirant sur son éternelle barbe, semblait prophétiser, cynique : « À certains endroits pendant cette tempête, contrairement à d’autres, des gens arrêteront tous les cactus déferlant, pour les manger ».


Une fois le calme revenu, je m’assis dans l’herbe humide, songeur. À quelques pas de là sur cette butte je vis le troisième capitaine du concert avorté, jusque-là resté en retrait. Soudain, un touriste s’amena et me demanda de lui indiquer le chemin dans un accent incompréhensible. Alors que je bredouillais, confus mais agacé, que je ne le comprenais pas, le troisième gars arriva et désireux de l’aider, partit avec lui tout en bavardant dans un dialecte parfait. Dans la conversation qui s’évanouissait au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient, je crus comprendre que le type cherchait l’Escorial. Visiblement, il n’était pas dans la bonne direction.
C’est après ça que je tombai sur un homme barbu, à moitié nu et sévèrement ligoté à une croix. En me voyant, il m’a regardé et m’a alors simplement demandé « Détache-moi, s’il te plaît ».

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