lundi 29 octobre 2012

L'ŒUF DANS LEQUEL TU VIS

Au départ, il y eut un tremblement. À la fin aussi. Une secousse. Quelque chose de violent qui déjà n’existait plus, et s’était évaporé, à tel point qu’il était impossible de savoir de quoi il s’agissait. Puis plus rien, je crois. L’oubli.


Mon père n’arrivait plus à suivre le fil d’une conversation. On lui parlait, on avait l’impression d’être face à un pantin vide de tout, qui regardait un point inexistant au lointain et qui ne prêtait pas la moindre attention à nos paroles. Lui-même sortait de son mutisme au bout d’un moment, peu attentif au monde qui l’entourait. Et ce qui l’encerclait alors, c’était une montagne merveilleuse de l’arrière-pays, plaque abrupte de roche grise et d’arbres verdoyants. Majestueux. Depuis ce balcon sur lequel je me trouvais, je remarquai que la cime de cette falaise côtoyait le ciel, comme si les deux étaient collés l’un à l’autre, ce qui abreuvait la vallée de soleil à toute heure du jour. Il suffisait juste que l’Astre ne soit pas assoupi. Ce qui m’étonnait le plus, c’était que mon père puisse aimer un tel paysage. Je m’étais fait la réflexion avec ma mère, disant qu’il n’aimait pas le Soleil, en temps normal. Mais le spectacle était si beau que je ne m’en préoccupais guère, qu’il s’agisse du nouveau lieu de résidence de mon géniteur ou non. Le balcon surplombait une autre immensité de néant, mais de ce perchoir de pierre, l’on ne pouvait voir que ce que la nature divine faisait naître et mourir en face, sur l’autre versant.


Le soir-même, nous étions en voiture tous les trois. Je devais être pris en charge médicalement pour une durée inconnue. Au cours d’une pause dans l’herbe humide et l’obscurité, je voulus discuter avec ma mère, la Lune brillante comme seule compagnie sur cette colline accidentée. Je repensais à la vallée que j’avais contemplée durant la journée. À tout hasard, je parlais à ma mère d’un bled perdu dont j’avais eu connaissance. Elle, curieusement ravie, m’expliqua tout le bien qu’elle pensait de cet endroit, un grand sourire aux lèvres. Une incompréhension de plus pour moi, elle qui d’ordinaire avait en horreur tous ces villages isolés et lugubres, qui sont légion dans les montagnes.
« Oh non, mais c’est une commune pleine de chiens et de chats. »
Je revoyais encore la tristesse infinie des pierres et des bâtisses, une vision à mille lieues de celle que je venais d’avoir avec mon père. Et ma mère d’ajouter :
« C’est un village à la coque. »
Soit…


Et nous reprîmes la route, nous arrêtant au beau milieu d’une forêt, alors que je répétais des mouvements de kung-fu à l’arrière de la voiture. Nous étions stoppés par un énorme arbre qui faisait une sieste centenaire parmi ses proches. Autour de nous, toujours la nuit et cette absence de couleur à nos yeux. Ni une ni deux, je sortis de la voiture et enjambai le géant de bois avec une agilité asiatique plutôt ridicule.
« Tu te prends pour Jet Li ?! », me hurla mon père. Je n’en tins pas rigueur. Jusqu’à ce que, encore à terre, un chausson noir et blanc se posa brutalement sur ma main. Et alors que je levais la tête, Jet Li en personne.

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