lundi 30 septembre 2013

EST-CE TROP ?

Un parvis de nuit était fleuri d’une étrange faune. Autour des longs bancs de béton, éventrés par des mottes de terre en leur sein, se pressaient des gens qui discutaient en attendant je-ne-sais quoi, dans le brouhaha de l’asphalte.
Tout commença avec cet homme qui vendait des peluches, peluches qui allaient bientôt devenir des joueurs de foot. Des sortes de bébés "reborn", quoi. Les silhouettes félines étaient parées d’un maillot d’une équipe de l’élite : les uniformes jaunes ou verts, chatoyants, se mariaient avec les rayures noires de leurs corps. L’étrange vendeur ambulant expliquait qu’il n’y avait malheureusement pas de contact humain direct avec elles ; c’est là où c’était dommage. Pourtant, elles étaient capables de faire des passes, des lobs, des longs centres bien administrés, bref : la panoplie parfaite du footballeur professionnel idéal (les états d’âme en moins), malgré leur cadence de robots. Ces espèces de souris mécaniques géantes, adeptes du ballon rond, allaient débarquer sur le marché, et peut-être qu’au mercato suivant, certaines d’entre elles allaient pouvoir être recrutées par des grosses écuries européennes...


Et le spectacle débuta. C’est là que je compris le pourquoi du comment du tumulte ambiant. Surgi de nulle part, Christian Estrosi apparut sur le parvis, radieux et entouré de cerbères. Vêtu de son éternel sourire sincère, le député-maire s’avança au milieu de tout le monde, la foule s’étant divisée et écartée de chaque côté de la cour urbaine, pour le laisser bien en évidence au centre de l’attention. Christian portait un énorme sac de ciment à mains nues, devant les yeux ébahis. Il ne manquait plus qu’un roulement de tambour dans le silence mondain et admiratif. Soulevant à lui seul la charge imposante, il déplaça le sac gris jusqu’à l’autre bout de l’allée, en souriant. Une lumière céleste vint presque illuminer son passage. À moins que ce ne fussent que les néons de la place. Cette procession populiste bizarre était en train de fédérer toute l’assistance autour de la figure du maire UMP, encore plus proche des gens d’en bas, des ouvriers, comme s’il s’agissait de montrer publiquement un soutien et un amour pour ceux qui galèrent à soulever des blocs de béton.
Du coup, voyant le caractère héroïque qui était conféré à Monsieur Estrosi, mon sang ne fit qu’un tour de manège : brusquement, je m’emparai d’un autre sac de ciment, laissé de côté, et imitai le politicien en transportant le fardeau de tout son poids, dans la même direction. J’y étais plutôt bien parvenu, mais rapidement, on m’arrêta pour trouble à l’ordre public, ou quelque chose comme ça. Sur le côté gauche de l’avenue qu’avait remontée Christian, il y avait une consigne, ou bien une billetterie. On m’obligea alors à prendre un récépissé et à attendre mon tour. Une femme me donna le ticket correspondant à mon délit, et je fus placé en garde à vue à cet endroit qui se remplissait, alors que les lumières venaient de s’allumer sur le parvis et que le silence de la foule s’était éteint. Décorée de banquettes de cuir rouges et dans des tons assez chics, la consigne accueillait alors de nouvelles têtes, sans que je puisse savoir quelle faute atroce leur cerveau avait commise. C’était la débandade.
Il y a pourtant une chose que je ne comprends toujours pas : pourquoi Diable ne m’ont-ils pas attaché ? Ou même menotté ? C’aurait été la moindre des choses. Mon geôlier en aura fait les frais : grand blond hargneux au possible, il portait un prix Nobel de la paix sur son visage. D’entrée, gratuitement, il m’invectiva, profitant de l’espace exigu pour m’insulter et me provoquer. Et des attaques verbales, et de l’humiliation, et de l’intimidation, soit beaucoup de tentatives vaines avant que je ne craque. La petite baltringue chialait presque de nervosité. Puis il me porta le premier coup, comme une pute. Autant de bonnes raisons dont je m’emparai sans scrupules pour lui démolir sa petite tête de con, le laissant à terre, s’exciter tout seul dans le vide et en redemander encore. Après la bagarre, je courus chercher mon bon de sortie. La même femme me donna un justificatif de fin de détention, avec la date et l’heure, et je pus enfin quitter les lieux aussi vite que j’y étais entré. Je n’arrivais pas à déterminer combien de temps j’avais passé là, malgré le laisser-sortir, mais une chose était sûre cette nuit-là : la garde à vue m’avait mis dans un retard presque insurmontable pour le boulot.


Alors, en hâte que j’étais, angoissé à l’idée de manquer le taf, j’ai traversé une forêt humide à toute allure, jusqu’à ce que je voie une tête dépasser de la fenêtre d’une cabane : elle appartenait à mon vieux pote, Monsieur T.B, un ami d’enfance. Me voyant aussi pressé, lui et son frère proposèrent de m’amener à mon lieu de travail, en bus, car ils étaient devenus chauffeurs depuis peu. La proposition tenait la route : un trajet direct spécialement pour moi, sans avoir aucun arrêt sur le chemin. La gentillesse et l’altruisme me surprirent, et nous étions déjà partis.
On a traversé beaucoup de cols et de virages en épingle pour arriver à temps, et beaucoup de voyageurs nous arrêtaient sur le chemin, sans doute en retard eux aussi, espérant que le bus les prenne, mais non : le trajet m’avait été exclusivement réservé. Moi, j’avais prévenu Mademoiselle C, ma collègue chinoise, de mon contretemps. Malgré la bataille contre le chronomètre, les deux frères ont même décidé de faire étape dans un palais qui semblait fait de marbre, pour prendre une douche.
Malheureusement, en arrivant sur place, il était déjà trop tard. L’horloge affichait 17 heures au lieu des 14 prévues. J’avais donc failli de trois heures à ma ponctualité légendaire. Le pire, c’est que j’avais même la sensation de m’être trompé d’endroit : comme si mes employeurs m’avaient envoyé dans un lieu inhabituel, ou que Monsieur T.B. ne m’avait pas amené à bon port. Car j’étais dans cet aérodrome, qui était un lycée, et inversement. Épuisé, j’avais perdu une précieuse journée de travail malgré tous mes efforts, et ce à cause d’une histoire de ciment, d’étrange meeting UMP et de garde à vue. Qui aurait bien pu avaler ça ? Il ne me restait plus qu’à déambuler comme un zombi dans ce hall de gare, avec cette cour d’école au beau milieu. Je voyais les choses en arrière. Exactement comme Monsieur F, qui paraissait avoir perdu dix ans et gagné l’équivalent en kilos : je l’avais croisé dans un bureau ouvert de l’administration, alors qu’il pestait contre ses responsables qui ne lui avaient pas accordé son départ au Japon. Son horrible jogging, son nouvel embonpoint ainsi que la barbe de son apparence de samouraï passionné de mangas parlaient pour lui. Il décampa la voix décomposée, triste et nonchalant.


Je ne voyais rien en avant. J’étais retourné là où je n’avais jamais mis les pieds. Mais dans la cour, les regards moqueurs et interloqués, les rires des filles et les sonneries de téléphones portables me semblaient familiers.

mardi 9 avril 2013

PAR ICI

Monsieur A, le serveur du café, paraissait heureux de me voir. Il me semblait qu’il s’était embrouillé avec sa chef, une fois de plus. Des choses qui arrivent. Comme toujours. Mais après tout, je n’en étais pas certain. De toute façon, comment aurais-je pu en être certain ?
J’étais revenu dans ce monde peuplé de cons et de minables. Bien que ces derniers puissent parfois se confondre. M’abritant de la vie nocturne d’ici-bas, insalubre et pesante sous les spotlights, je décidai de rendre visite à Monsieur E chez lui. Il devait me donner des conseils précieux sur le choix d’un instrument, m’aider à comparer la Precision et la Jazz Bass de Fender. Lui aussi s’était disputé avec sa chef, Mademoiselle M, qui était en réalité sa fiancée. Parfois, c’est pareil. Les fantômes du conflit étaient encore présents par ici. Je les voyais autour de moi comme des flashbacks. Monsieur E non plus n’avait pas réussi à échapper à la mascarade des cons et des minables. Il continuait à cohabiter avec eux. Puis il me fit monter à l’étage, une sorte de loft qu’il avait transformé en studio de musique. Ce n’est qu’en arrivant au sommet des escaliers que je vis le volcan se briser en mille morceaux depuis la baie vitrée de l’appartement. Il vola en éclats, en éclats de fumée, de glace, de satin et de je-ne-sais plus quoi. J’avais l’impression qu’il était sous mes yeux. Il explosa dans une violence inouïe qui ne produisit pas le moindre bruit, malgré la brutalité de cette plainte de la roche et de la nature : Monsieur E avait une baraque bien insonorisée… Sous le nuage blanc liquide, les Rouge et Noir étaient menés au score. Je les imaginais en-dessous de l’impact, face à une équipe de seconde zone. C’est ainsi que j’eus ces images d’eux, se démenant à l’époque sur des terrains pitoyables, entre deux scènes aménagées pour un festival en plein air.


Quelque part au même moment, un grand souverain à l’apparence de John Merrick se faisait porter par une barque sur un fleuve inconnu. À la lumière d’une bougie, sur le bateau dans cette cabine aux reflets de feu, il s’apprêtait à prendre un bain. Et avec sa coiffure difforme et ses lèvres monstrueuses, il se répétait à lui-même : « Un bon bain pour le roi. Un bon bain pour le roi… ».

mercredi 6 mars 2013

POISSONS-ÉPÉES ET SQUELETTES ANOREXIQUES

Ce matin-là, alors que je m’apprêtais à prendre mon petit-déjeuner devant la télé, son père me proposa d’aller à la plage. Un peu gêné au premier abord, je prétextais avoir des choses à faire, jusqu’à ce qu’il me dise « Allez, je viens te chercher ! ». Le plus étrange, c’est que je crois bien qu’Elle était en train de refaire sa vie à ce moment-là. Comme d’autres l’avaient déjà refaite auparavant. J’ignorais avec qui, mais je savais qu’elle était partie. Et occupée avec quelqu’un d’autre. Cependant, je me retrouvais, bel et bien, en ce jour ensoleillé, avec Elle, son père et son frère, Monsieur J.
Elle avait l’air plutôt contente de me revoir… Souriante, intriguée… Je l’étais tout autant. Ça me faisait du bien. Son père, indifférent mais toujours jovial et blagueur, était satisfait de l’endroit dans lequel il nous avait amenés : au lieu d’une plage, nous nous sommes retrouvés dans un aquarium géant. Toute une ville parallèle, avec des rues pavées, faite d’enclos qui ne l’étaient pas, réservés aux requins et autres poissons effrayants. Ainsi, nous allions de salle en salle découvrir ces merveilles de la nature : « Une expérience à faire, quand même ! », disait son paternel avec sa bonne humeur communicative. Il n’avait pas tort. Les enclos n’avaient pas de protection, ni de sécurité : pas même de porte. Je ne suis même pas sûr qu’ils aient été remplis d’eau. Je revois ces poissons nager dans le vide, dans le rien, peut-être simplement volant en apesanteur dans ce lieu hors du temps. Sans jamais sortir de leur espace réservé, comme s’il existait réellement une limite.
Le seul spectacle à l’air libre se trouvait près d’un ravin éloigné du centre. Autour d’une falaise aux couleurs ocres et d’une végétation méditerranéenne typique, il y avait là un océan d’anguilles. Peut-être même deux, car le niveau d’eau dans lequel trempaient ces milliers de créatures était divisé en un improbable escalier aquatique. Certaines se dévoraient entre elles, d’autres s’enduisaient de boue ou restaient immobiles. Sans compter celles qui avaient obtenu deux paires de pattes par je-ne-sais quel miracle dans cet environnement irréel, tels des lézards. La vision de cet endroit était un véritable mirage, et je ne sais pas ce qu’il reflétait.
Plus loin, nous rapprochant de la sortie de ce zoo absurde, un bar lugubre attira mon attention… Il avait été construit au même emplacement que les enclos, si bien que seule la musique qui s’en échappait permettait de savoir de quoi il s’agissait. Je décidai d’aller y jeter un coup d’œil et franchis le seuil de la porte qui n’existait pas. À l’intérieur, je ne vis que des formes qui bougeaient de manière cadavérique, boitant lamentablement de table en table, avec l’une des seules choses que je pouvais distinguer dans l’obscurité : des sourires grimaçants qui illuminaient la pénombre comme des putains de phares. Sur les deux étages de l’établissement, serveurs, clients, tous paraissaient morts, ou avaient envie de faire croire qu’ils l’étaient. Encore déboussolé, il ne m’en fallut pas beaucoup plus pour déguerpir.
Une fois sorti, j’entendis le brouhaha ambiant derrière moi, et remarquai qu’à l’intérieur, l’on venait d’éteindre la lumière. Monsieur J s’amusa :
«  T’as vu ce bar, un peu ?
- Ouais, c’est un peu comme ces restos parisiens à concept, dans lesquels tu ne vois rien de ce que tu as dans ton assiette, et que, lumières éteintes, tu dois deviner ?
- Oui… Sauf qu’ici, ce n’est pas pour ça que l’on te plonge dans le noir. »
Son sourire enfantin aux lèvres, il ne m’en dit pas plus, et nous continuions à marcher.
Contents de leur visite en famille, je les laissai là, sauf Elle, à qui j’avais à parler… Plus tard, j’eus envie de raconter cet épisode hallucinant à ma mère. Pour cela, et malgré les mises en garde incessantes de ma copine, je voulus partir le plus vite possible, et ainsi, j’enfourchai mon beau scooter bleu de toujours, que je n’avais jamais utilisé. Malheureusement, ma mère ne fut pas très réceptive à mon récit…


Le soir-même, je décidai de retourner sur les lieux pour essayer de comprendre ce que j’avais aperçu. À l’entrée du bar, assis sur le trottoir, je me retrouvai par hasard en présence de ce bon vieux Monsieur G, qui m’expliqua avec un enthousiasme que je ne lui connaissais pas, qu’un vieil ami à nous, Monsieur W, allait lui rendre visite. Puis il me parla de son étrange projet "bounce" : j’ignorais totalement de quoi il parlait… Aussi je lui demandais s’il s’était remis à la basse.
« … Simplement à la musique », me répondit-il, plus énigmatique que jamais.
Et alors que je ne devais pas en savoir plus, il me montra du doigt l’intérieur du bâtiment. Une nouvelle fois j’entrai, et immédiatement sur ma droite, je vis deux hommes en train de découper un gigantesque poisson, attablé sur une longue planche de supplice en bois. Par moments, l’un d’eux délaissait l’effrayant couteau et empoignait son partenaire pour l’embrasser langoureusement. J’en profitai pour sortir de là sur le champ, non sans me dire que j’aurais pu assister à ce qui allait être l’une des rares scènes de porno poissonnier gay sur cette Terre.
De l’autre côté, je tombai sur Monsieur L et Mademoiselle P, avec son éternel sourire étincelant. La salle ressemblait à une grotte, taillée dans la pierre et très faiblement éclairée. D’autres personnes étaient là également, dont un homme d’un certain âge se tenant à l’écart, reclus près d’une paroi rocheuse. Après quelques bavardages, Mademoiselle P me raconta, radieuse, qu’elle avait rendez-vous avec un type charmant, et qu’il fallait que je sois content pour elle. C’est à ce moment-là qu’un téléphone sonna et plongea nos langues dans le silence. L’homme au fond de la pièce décrocha, semblait parler dudit type charmant. Il termina son coup de fil, et sans se lever, s’adressa à Mademoiselle P en rectifiant :
« C’est avec son cousin que tu as rencard, finalement. »
Même si je devais être content pour elle, je ne pus m’empêcher de les traiter de consanguins avant de quitter cet endroit.


Le lendemain, il y eut une prise d’otages dans le bus dans lequel nous nous trouvions, ma mère, ma sœur et moi. Une forcenée avait obligé le conducteur à se rendre à l’endroit qu’elle avait décidé, nous menaçant de nous prendre une balle dans la tête à tout moment. Cheveux sales, arme lisse : elle avait beau veiller au grain non-loin de nos places, je n’y prêtais pas trop attention. Je suggérais à ma mère et ma sœur de lui laisser un pourboire conséquent afin qu’elle se casse et qu’elle arrête de nous faire chier. Visiblement, ce n’était pas l’argent qui l’intéressait… Tant pis. Je retournai à ma fenêtre, à travers laquelle je pouvais encore me laisser absorber par le paysage, seul au milieu de l’effroi de tous. Du sable chaud, des palmiers à perte de vue, et bientôt l’océan.
Jusqu’à ce que l’on aperçoive un parc d’attraction aquatique. C’est là que la mégère armée avait prévu de nous amener. Elle nous fit descendre du bus, et l’on se retrouva vite sur le sable, face à un vent terrible et au manège qui masquait l’océan. La folle envoyait alors une personne à la suite au sommet du plus haut plongeoir, majestueux à une trentaine de mètres au-dessus d’un bassin peu profond. Chose étonnante, dans un déluge de cris, de nerfs et de menaces, elle accompagnait sa victime jusqu’en haut, nous laissant seuls quelques instants. Pour moi, ce procédé décrédibilisait parfaitement cette pauvre hystérique. J’en fis rapidement part à ma mère, à ma sœur : qu’est-ce que l’on attendait pour se barrer en courant, hors de la vue de cette tortionnaire ? Je commençai à longer une étendue d’arbustes des dunes pour m’échapper, lorsque j’entendis un bruit horrible. En me retournant, je compris instantanément : à chaque personne qui sautait dans le bassin en contrebas, la forcenée lui tirait une balle dans la tête, en pleine phase descendante, laissant le corps écervelé chuter droit comme un I dans une parfaite inclinaison verticale.
« Tu comprends pourquoi ça ne sert à rien de fuir, hein ? », me dit ma mère comme un reproche.
Je voulus tout de même en avoir le cœur net. Je m’approchai alors de l’entrée du parc pour parlementer avec un responsable. Je ne trouvai là que deux personnes : un employé en costard, et un cadavre la tête en bouillie, étalé sur une table de la même façon que le poisson que j’avais vu la veille. Impossible de déterminer s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Le cœur soulevé, je demandai à l’employé ce qui se passait par là, et pourquoi cette malheureuse créature en pièces avait été précédemment abattue. Et ce dernier de m’expliquer que tout était normal, qu’ils cherchaient simplement des gens pour faire partie de l’expérience. Je m’approchai de lui et le regardai fixement :
« Et vous, vous êtes volontaire ? ».

mercredi 21 novembre 2012

QUEUE COMPTE DOUBLE

J’ignore toujours ce que je foutais dans cette piscine extérieure, insalubre. Sans eau, sans rien que des dalles de pierre blanches noircies par la saleté. Autour de moi, un vallon obscur, d’où semblait provenir un énorme scorpion dont je guettais les moindres mouvements avec crainte.


Dans la même atmosphère d’abandon, j’en profitai pour pénétrer dans le bâtiment grisâtre désolé dans lequel habitait Monsieur G. Cet après-midi-là, je le trouvais amoureux et triste. Replié dans une chambre verte extrêmement vieillotte, il racontait sur son lit sale que son père lui avait dit qu’il était une merde, après lui avoir interdit d’utiliser certaines techniques interdites au Scrabble. Un peu à la Jackie Chan, façon Combats de maître, pensai-je. Monsieur G acquiesça, avec son enthousiasme habituel. Avant de baisser les yeux de plus belle et de se mettre à déprimer. Sa bien-aimée venait de le rejoindre dans cette pièce poussiéreuse, et ainsi une partie de Scrabble s’annonça. Avant que je m’installe, Monsieur G me demanda de me mettre une grosse couche d’écran total sur le front : en effet, ce pauvre bougre souffrait d’une forme extrêmement rare de cancer de la peau contagieux. Seul moyen pour limiter les risques de contamination…

lundi 12 novembre 2012

ÇA VA DÉPOTER GRAVE

Quel bonheur que de gifler avec arrogance et mépris cette grosse merde hautaine qu’est Monsieur B.L, rencontré par hasard une nuit, au sortir d’un train urbain du Mexique, dont les rails surplombaient les lumières de la mégalopole en contrebas. Ah, Monsieur B.L… Il ne lui manque plus que la hache au milieu. Je l’avais repéré dans ce couloir de la gare entièrement rénovée, entourée de baies vitrées. Après l’avoir interpelé avec moquerie et lui avoir administré un bon gros pain plein d’amour, le pauvre avait l’air apeuré, ne sachant quoi faire. Son apparence de guévariste globe-trotteur avait évolué vers une habile nouveauté : une belle queue de cheval de baltringue… Le monde est décidément un village minuscule et sans fin. Surtout de nuit.

lundi 5 novembre 2012

ENTERREZ-MOI PARMI LES TARASQUES

« Maintenant je sais ce qu’a ressenti Cuauhtémoc », me dis-je en pensant à une célèbre chanson des Smiths. Inconsolable, après m’être rendu compte que ma bien-aimée m’avait trompé. Je ne la reconnaissais plus. Je constatai même que son visage était devenu celui de ma sœur. Incompréhensible. L’ordure, c’était le mec de Mademoiselle C, l’une de mes meilleures amies. Tout avait été prémédité. Calculé, organisé.
Sur un parking, à demi-éclairé ce soir-là, je décidai d’entrer dans la voiture du traître pour avoir la preuve de tout ce qui se tramait. À vrai dire, je ne savais même pas moi-même ce que je cherchais. Et c’est à peine infiltré dans le véhicule que Mademoiselle C et son fidèle compagnon me tombèrent dessus. Sa barbe hirsute et ses yeux enragés me préparèrent à un mauvais quart d’heure. Pourtant, il se contenta de me regarder avec cette étrange expression, alors que je descendais de sa bagnole, méfiant. Je n’en revenais pas qu’elle puisse être complice d’une telle saloperie. Elle semblait cautionner ; presque apprécier. Et Elle, qui ne l’était pas vraiment, se tenait à proximité. Ainsi je partis sans expliquer ni comprendre quoi que ce soit, sur cette chaussée trempée, au milieu d’un nulle part aux lumières perverses et clignotantes qui embrasaient de couleurs le toit de cet immeuble.


Au même moment, le monde connaissait une crise des doublages de films. De nombreux acteurs refusaient de remplir leur voxographie en donnant leur timbre à tout personnage ambigü du cinéma. Moi, dans un supermarché avec ma mère, je me rendis compte à quel point elle avait du mal à reconnaître les gens. Et une femme grotesque aux cheveux frisés, probablement une vieille connaissance à elle, s’approcha de notre caddie pour se remémorer le temps passé. Et perdu. Ma mère n’avait l’air que très peu enthousiasmée par la rencontre incongrue. En me voyant, la rombière s’exclama : « Qu’est-ce qu’il ressemble à son père ! ».
Rien de tel pour me mettre en rogne. Sauf que ce qu’elle avait pris pour moi, était en réalité une calavera à mon effigie, faite en terre et posée non loin…

lundi 29 octobre 2012

L'ŒUF DANS LEQUEL TU VIS

Au départ, il y eut un tremblement. À la fin aussi. Une secousse. Quelque chose de violent qui déjà n’existait plus, et s’était évaporé, à tel point qu’il était impossible de savoir de quoi il s’agissait. Puis plus rien, je crois. L’oubli.


Mon père n’arrivait plus à suivre le fil d’une conversation. On lui parlait, on avait l’impression d’être face à un pantin vide de tout, qui regardait un point inexistant au lointain et qui ne prêtait pas la moindre attention à nos paroles. Lui-même sortait de son mutisme au bout d’un moment, peu attentif au monde qui l’entourait. Et ce qui l’encerclait alors, c’était une montagne merveilleuse de l’arrière-pays, plaque abrupte de roche grise et d’arbres verdoyants. Majestueux. Depuis ce balcon sur lequel je me trouvais, je remarquai que la cime de cette falaise côtoyait le ciel, comme si les deux étaient collés l’un à l’autre, ce qui abreuvait la vallée de soleil à toute heure du jour. Il suffisait juste que l’Astre ne soit pas assoupi. Ce qui m’étonnait le plus, c’était que mon père puisse aimer un tel paysage. Je m’étais fait la réflexion avec ma mère, disant qu’il n’aimait pas le Soleil, en temps normal. Mais le spectacle était si beau que je ne m’en préoccupais guère, qu’il s’agisse du nouveau lieu de résidence de mon géniteur ou non. Le balcon surplombait une autre immensité de néant, mais de ce perchoir de pierre, l’on ne pouvait voir que ce que la nature divine faisait naître et mourir en face, sur l’autre versant.


Le soir-même, nous étions en voiture tous les trois. Je devais être pris en charge médicalement pour une durée inconnue. Au cours d’une pause dans l’herbe humide et l’obscurité, je voulus discuter avec ma mère, la Lune brillante comme seule compagnie sur cette colline accidentée. Je repensais à la vallée que j’avais contemplée durant la journée. À tout hasard, je parlais à ma mère d’un bled perdu dont j’avais eu connaissance. Elle, curieusement ravie, m’expliqua tout le bien qu’elle pensait de cet endroit, un grand sourire aux lèvres. Une incompréhension de plus pour moi, elle qui d’ordinaire avait en horreur tous ces villages isolés et lugubres, qui sont légion dans les montagnes.
« Oh non, mais c’est une commune pleine de chiens et de chats. »
Je revoyais encore la tristesse infinie des pierres et des bâtisses, une vision à mille lieues de celle que je venais d’avoir avec mon père. Et ma mère d’ajouter :
« C’est un village à la coque. »
Soit…


Et nous reprîmes la route, nous arrêtant au beau milieu d’une forêt, alors que je répétais des mouvements de kung-fu à l’arrière de la voiture. Nous étions stoppés par un énorme arbre qui faisait une sieste centenaire parmi ses proches. Autour de nous, toujours la nuit et cette absence de couleur à nos yeux. Ni une ni deux, je sortis de la voiture et enjambai le géant de bois avec une agilité asiatique plutôt ridicule.
« Tu te prends pour Jet Li ?! », me hurla mon père. Je n’en tins pas rigueur. Jusqu’à ce que, encore à terre, un chausson noir et blanc se posa brutalement sur ma main. Et alors que je levais la tête, Jet Li en personne.