samedi 16 novembre 2013

À CAUSE DE SES LESTS

C’était une nouvelle année qui se terminait, et une autre qui allait commencer. Une soirée de réveillon plus que banale en huis clos, avec Monsieur G, Mademoiselle D, Monsieur V... Toute la fine équipe, en somme. À l’extérieur, le monde était marqué par le retour de tous les abrutis du coin que connaissait si bien Monsieur E. Ça ressemblait à l’élection officieuse d’un idiot du village qui ne connaîtrait même pas sa nomination. Sous les spotlights, c’était l’avènement de tous les clubbers, de toutes les baltringues en skate qui affirmaient s’être déjà faits sponsoriser un jour. Un autre bal des cons, un gratin que je voulais mettre au four.
Justement, la mère de ma copine se trouvait parmi nous, dedans, et semblait préoccupée par les menus affichés sur la carte, qu’elle étudiait consciencieusement. Quant à Elle, elle était présente et à la fois absente. Cette phrase n’est pas de moi ; on me l’a un jour sortie comme un reproche. Pendant ce temps, presque isolé des autres, j’essayais de dissimuler une érection apparente. Qu’est-ce que ça pouvait foutre ? Je revoyais, dans une belle boîte à souvenirs en fer, plusieurs étapes de ma vie en photos ; même celles que je n’avais pas vécues. Sur les clichés, en papier ou bien collés à l’intérieur de beaux albums, je trouvais plusieurs protagonistes importants de mon existence : mon grand-père, mon chat, dans différents costumes et diverses postures. Il avait toujours aimé poser, après tout. Plus loin, entre les images de jardins magnifiques remplis de lauriers rose, je tombai sur une photo que je ne me souvenais pas avoir prise : celle d’un groupe d’équilibristes en tenue d’arlequin orange et noire, qui composaient une forme géométrique assez belle et imparfaite avec leur corps. Manifestement, l’édifice humain symbolisait une saison. Juste en-dessous de la photo, sur le feuillet, cette inscription étrange en espagnol, que je déchiffrai dans ma tête : « Parfois, deux os un peu solitaires peuvent former un même corps ».


Cette année-là, Jean-Michel Larqué était devenu le sélectionneur de l’équipe de football d’un pays de l’Est. Il avait également réussi une douteuse reconversion comme acteur. Et alors que sa carrière prenait de l’envol, on redécouvrait ses débuts dans la profession, quelque peu occultés jusque-là. J’appris, par exemple, au cours d’une interview avec Roberto Carlos (qui portait un maillot avec son nom écrit en monogramme sur le torse, le C formant un château médiéval plutôt inapproprié) que Larqué allait supplanter Horst Tappert, récemment décédé, pour poursuivre les célèbres aventures de l’Inspecteur Derrick. La bande-annonce, seventies à souhait, avec les coupes de cheveux ridicules et les blousons en cuir marron donnait l’eau à la bouche. Et c’est en cherchant dans la filmographie de l’ancien commentateur sportif qu’une œuvre étrange de 1997 suscita profondément ma curiosité : Le Biélorusse, dans la catégorie horreur. Je pensai alors à un bon vieux navet de série B qui aurait au moins le mérite de me faire marrer. Je décidai donc de vivre ce film.


Je me retrouvai alors au dernier étage d’un building qui semblait abandonné. L’appartement, immense, me donnait le vertige et peu d’indications sur l’altitude à laquelle je me situais. Seule une sorte de cuisine était éclairée, laissant le contenu de l’antre parfaitement inconnu. Dans la pièce, tout en longueur, Samy Naceri (qui campait un certain Dante), affichant de longs cheveux raides qu’on ne lui connaissait pas, était en proie avec une machine plutôt bizarre : une rotative au bout de laquelle une énorme anguille électronique venait lui piquer le bras.
« Ouch ! »
Drôle d’expérience. L’animal robotique revenait toujours à l’autre bout du tapis coulissant, à une centaine de mètres de là sur le mur d’en face.
Puis, dans l’obscurité de la pièce principale, j’entendis un bruit inconnu. Je me retournai, et Naceri avait disparu. Alors je distinguai une voix de fille : une adolescente ou une enfant, je n’arrivais pas à le déterminer. Je sortis de la cuisine à reculons, très doucement, de manière à essayer de percevoir d’où provenaient les sons, cachés par les ténèbres du salon. Je ne voyais rien que l’entrée de l’immense superficie, les murs sans porte faisant un arc de cercle au-dessus de ma tête, ce qui ne me laissait qu’un très faible halo de lumière à quelques pas devant moi. Je n’avais pas encore remarqué à quel point l’endroit était poisseux et suffocant, le semblant de lumière verdâtre au sol ne m’aidait pas à me sentir en sécurité.
Brusquement, il y eut un bruit sec : une tête venait de tomber par terre après un court voyage dans un escalier que je n’avais pas remarqué, situé sur ma droite. C’était un crâne putride que l’on avait arraché à son propriétaire. Je poussai un cri d’horreur. Devant moi, la tête se mit à vomir : à vomir des vêtements, comme si quelqu’un avait obligé cette personne à avaler une tonne de tissu avant qu’on ne la décapite. Elle avait tout gardé en bouche. Et alors je la vis : une fille vêtue d’un drap blanc, rampant sur le sol dans ma direction, entourée de cadavres décharnés et dévorés que l’obscurité m’avait cachés jusque-là. D’autres têtes se mirent à rouler alors que la créature se dirigeait vers moi. J’étais paralysé devant tel spectacle insoutenable qui dépassait l’imagination.
« Dans..., gémissait-elle ». J’arrivais à peine à distinguer le monstre.
« Dans tout ce que je fais..., murmura-t-elle, il y a une certaine... créativité... ».
Je la devinais. Ni mes yeux ni mes oreilles ne pouvaient encore supporter l’horreur éprouvante de cette scène infernale. Elle continuait à s’approcher, à s’accrocher son drap dans le parquet en bois qu’elle traversait. Sa voix grave devenait un supplice. Puis elle se mit à hurler :
« Il.faut.une.certaine... ORGANIQUE ! »
La fille était presque à ma portée après s’être trainée au sol, et en croyant apercevoir son visage au milieu des cris, je me libérai enfin et me ruai tel un damné vers les marches à qui je tournais le dos, m’engouffrant en courant comme jamais je n’avais couru dans un escalier obscur qui descendait en colimaçon jusqu’à l’infini...

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