mercredi 16 octobre 2013

ROUGE-GORGE

Parfois, ça peut être chouette, l’Assemblée. Ce jour-là, au programme, une véritable petite révolution était sur le point d’être mise en place : la suppression de La Marseillaise au profit d’un autre hymne national. Inutile de préciser le scandale qui commençait à bouillonner. Une petite troupe de résistants s’était emparée d’un coin sombre de l’hémicycle, occupant plusieurs rangées de la mythique institution en désordre. À la tête de ce groupuscule, Xavier Cantat menait la barre. Il était présent. Un discours, de longues tirades envolées et probablement quelques noms d’oiseaux avaient sans doute fusé, juste avant ce rassemblement. Mais ce n’était pas grave. Lunettes enfoncées, regard baissé, Xavier tenait entre ses mains des feuillets et une partition. Ses camarades également, et ils l’imitèrent tous ensemble, alors qu’ils se mirent à chanter les paroles en chœur. On aurait dit un mignon petit récital de Noël dans une église perdue de la France profonde. Cela ressemblait à La Marseillaise, quelques couplets haineux en moins. Fini l’épisode du sang impur, Xavier Cantat et ses comparses s’abreuvaient du texte inédit, triomphants. Une salve d’applaudissements retentit au beau milieu de l’Assemblée dès que se tut la chorale.


Un spectacle émouvant. D’ailleurs, certains en avaient les larmes aux yeux. Enfin cet infâme hymne raciste et belliqueux allait pouvoir être remplacé par quelque chose de plus sain et de plus beau. On demanda alors à Xavier quel était ce chant que ces révolutionnaires venaient de lancer fièrement. Lui et sa compagne répondirent qu’il s’agissait d’une autre composition de Rouget, sans doute une partie méconnue de La Marseillaise. Mais ce n’était pas bien grave. Le changement était en marche ! En quelques secondes, toute la classe politique et les médias avaient été mis au courant, à mesure que les vainqueurs sortaient de l’Assemblée, hurlant leur victoire et la prise d’un emblème de la Nation dans une clameur époustouflante, renversant les vieux murs de leurs cris de guerre. Près de l’entrée, sur un tapis rouge, on aperçut Laurent Ruquier, interviewé au micro d’une chaîne de télé. Lunettes baissées, cheveux gris hirsutes, il manifesta son enthousiasme et son soutien au progrès historique qui allait s’accomplir. Le journaliste lui rappela que le nouvel hymne était un texte de Rouget. Mais ça non plus, ce n’était pas grave.

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