Au
bord de ma piscine, entourée d’arbres et lumineuse grâce au Soleil qui occupait
un ciel grisâtre, je repassais certaines images dans ma tête. Des trucs qui m’étaient
arrivé. Je me rappelais cette histoire de minerais d’or que nous avions trouvés
au bout de la Terre : là où il n’y a plus rien au-delà, là où l’« après »
n’existe plus. Ces pierres rarissimes étaient sacrées, et j’avais alors estimé
que les emporter constituait une profanation. J’avais peur de récolter un
châtiment de dieux que je ne connaissais même pas, peur de jouer les
Prométhée...
Suite
à cette affaire, j’avais même été invité à un débat télévisé, pour intervenir
sur la question du trésor et de notre légitimité à l’arracher du bord du monde,
cet endroit magnifique, plein de bleu et de blanc, entre forêt et banquise, à
deux pas d’une cascade que la planète produit en se retournant dans le vide sur
elle-même. Sur le plateau, j’avais essayé de donner mon avis, timidement, face
à Monsieur Éric Zemmour qui n’arrêtait pas de jacasser et accaparait le temps
de parole. Durant son long exposé sur les minerais d’or, je me contentais de
lever le petit doigt face à la caméra, pour que l’on m’interroge et que je
puisse émettre mon point de vue. Finalement, je décidai de le couper,
difficilement, pour prendre la parole, car au bout du compte, je voulais juste
soutenir son opinion :
« Excusez-moi,
entamai-je avec un sourire ridicule, je vais essayer de m’expliquer maintenant,
parce que sinon ça risque de prendre un très long moment...
-
Oui, en effet, m’interrompit Zemmour agacé ».
Non,
je n’en revenais pas d’avoir pu être d’accord avec cette petite pute qui avait
remis en question mon sens de l’élocution et de la narration. À peine sorti de
mes pensées rancunières, je me rendis compte qu’une énorme femme enceinte s’était
assise à côté de moi, sur le marbre blanc de la piscine. Elle m’infligea la
vision de la grossesse la plus hideuse que j’avais jamais imaginée. Était-ce
humain ? Son ventre à l’air, démesuré, avait deux gigantesques nombrils
fermés, et cachait entièrement la personne en-dessous. En fait, on aurait
simplement dit un ventre à jambes. C’en était presque à se demander s’il y
avait une femme sous cette incroyable protubérance démoniaque garnie de longs
cheveux blonds. Je cherchais un visage, je ne voyais rien. En cherchant, j’avais
la sensation que le visage, c’était ce ventre qui portait la mort :
comment une chose pareille aurait-elle pu renfermer la vie, quand bien même la
nature serait vraiment dégueulasse ? Les nombrils paraissaient une paire d’yeux
qui ne regardaient nulle part. À quelques mètres de moi, absolument immobile,
on aurait dit une statue de pierre millénaire représentant un monstre cubique.
Stupéfait, je me mis en chemin, et remontai les escaliers qui amenaient à la
piscine. C’est là, sans doute grâce à la hauteur, que je compris : le
gigantesque ventre difforme et grimaçant n’était en réalité qu’un gros parasol.
Aucun signe de grossesse, donc, d’autant plus que sous l’immense enceinte de
toile, il y avait un homme qui s’apprêtait simplement à prendre un bon bain.
Malgré
tout, je choisis d’aller errer dans la piscine municipale, en plein air elle
aussi. Je rentrais doucement mon menton et baissais la tête au fur et à mesure
que j’avançais sur le gazon, évitant le regard des nombreuses âmes autour de
moi. Familles malheureuses, touristes satisfaits du ciel gris ou enfants
turbulents, il y avait de tout entre les différents bassins en béton. Je
croisai même un gars en train de subir la colère d’un sosie d’Axl Rose, et à
côté d’eux, un mec qui attendait patiemment d’intervenir pour porter des coups
dès que ça dégénèrerait. Près d’un bassin vide, il y avait une foule qui s’était
rassemblée autour de deux célèbres chanteurs français ringards, qui montraient
leurs vieilles photos de jeunesse : à travers le sépia et leurs moustaches,
ils étaient immondes.
Sans
doute qu’Elle, elle aimait un des deux interprètes. Après l’avoir rejoint, nous
avions arrêté la voiture sur une bande cyclable à gauche, le long d’une rangée
de platanes. Elle commença alors à me
parler de musique, de chansons, dont une qu’elle se mit à me susurrer à l’oreille,
comme une berceuse. Je l’aimais tellement, Elle... Je devais l’aimer à peu près
autant que je détestais la chanson qu’elle avait voulu m’offrir. Non, j’avais
envie de l’emmener à un concert d’Eskorbuto, car j’étais persuadé que même si
les membres de la formation étaient presque tous morts d’overdose vingt ans
auparavant, le groupe venait de se reformer et jouait du psychobilly. On ne
pouvait pas vraiment dire que cette perspective l’enchantait, et je dus
insister fortement pour qu’elle veuille bien réfléchir à ce concert, à ce qui
me donnait tant envie d’y aller, jusqu’à ce qu’elle me demande « pourquoi ? ».
« Parce
que je vais mourir ».
Après
tout, qu’importait. Je revenais donc vers la piscine publique. Un semblant de
beau temps paraissait s’annoncer. Et merde. Assis sur un banc, le représentant
d’un guide touristique U.S. vint me prendre à partie. Je faisais mine de l’écouter
alors que mon regard suivait chaque chose qui n’en valait pas la peine, jusqu’à
ce qu’il réussisse à me convaincre d’aller découvrir une curiosité en Floride.
Enfin, je croyais. Que ce soit à l’aéroport ou dans l’avion qu’on avait pris,
ma sœur, mon beau-frère et moi, je n’avais aucune idée de la destination
exacte, malgré les coups d’œil sur la carte interactive, et je m’en foutais.
Même à notre arrivée, j’ignorais si j’étais en plein Middle-west ou près de la
Virginie. Ma sœur s’apprêtait à devenir maman.
C’est
ainsi que nous primes part au projet de rêve que le routard confirmé m’avait
vendu : très vite, on se retrouva au sommet d’une gigantesque grue noire
dans laquelle était installé un parc de montagnes russes de luxe : des
nacelles haut de gamme dans lesquelles il était possible de prendre un dîner
exquis. Un concept comme un autre, en somme. L’endroit était accessible par un
interminable ascenseur, lequel donnait accès à une plateforme de départ
ridiculeusement petite en comparaison à l’aspect titanesque de l’édifice. Du
haut de la grue, il était impossible de distinguer autre chose que les
éclairages lumineux de la ville à plusieurs kilomètres en bas, qui, malgré la
nuit, donnaient une couleur rouge rosé magnifique au ciel qui nous chatouillait
la tête.
Tout
ça, c’était bien beau, mais juste avant de commencer le circuit, je rappelai à
mon beau-frère que les montagnes russes étaient plus que contre-indiquées pour
une femme enceinte de huit mois ! Et pourtant la barrière de sécurité se
referma sur notre voiture, à ma sœur et à moi, et alors que notre parcours se
mit en marche, ce que je hurlais à mon beau-frère n’était que trop peu audible
pour qu’il puisse comprendre. Une avancée, un grincement de roues, un vertige
qui s’emparait de mon cœur, un horrible bruit mécanique, et nous voilà ma sœur et
moi à crier de tous nos poumons dans l’affreuse descente vers le néant balisé
par des rails jaunes et noirs autour de nous avant de sentir nos ventres
atterrir douloureusement. Alors, une fois le premier étage descendu, je stoppai
net la nacelle au premier virage, avant qu’elle ne s’engouffre vers la suite du
circuit, et emmenai ma sœur avec moi, vers ce qui semblait être un conduit d’aération
au sol. Nous avions bloqué la circulation des voitures. J’ouvris la trappe et m’emparai
d’une échelle, puis précipitai ma sœur à l’intérieur. Je pénétrai donc dans une
pièce par le plafond, une salle high-tech remplie d’écrans, de consoles et d’appareils
clignotants, le tout sous le regard médusé des personnes qui me fixaient à cet
instant. Je me sentis confus, là, sur mon échelle, devant ces gens, parmi
lesquels certains portaient des blouses... Même en plein parc d’attraction à
vingt mille lieues au-dessus de la terre ferme, il n’y avait pas de doutes :
j’étais dans une salle d’accouchement. Ma sœur appela alors une certaine
Chantal, qui lui fit signe de la rejoindre, puis elle disparut, sans même m’adresser
un regard. Je restais alors planté là, n’ayant pas osé descendre de mon
perchoir, et demandai à tous ces gens présents :
« Ça
la fout mal si je remonte direct avec l’échelle ? »
Plus
tard, assis en tailleur dans une salle en forme de bagel d’acier, je méditais.
Je me repassais les mêmes images dans ma tête. Il y avait des mouvements de
savate que j’essayais de mémoriser. Puis la banquise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire