Parfois,
ça peut être chouette, l’Assemblée. Ce jour-là, au programme, une véritable
petite révolution était sur le point d’être mise en place : la suppression
de La Marseillaise au profit d’un autre hymne national. Inutile de préciser le
scandale qui commençait à bouillonner. Une petite troupe de résistants s’était
emparée d’un coin sombre de l’hémicycle, occupant plusieurs rangées de la
mythique institution en désordre. À la tête de ce groupuscule, Xavier Cantat
menait la barre. Il était présent. Un discours, de longues tirades envolées et
probablement quelques noms d’oiseaux avaient sans doute fusé, juste avant ce
rassemblement. Mais ce n’était pas grave. Lunettes enfoncées, regard baissé,
Xavier tenait entre ses mains des feuillets et une partition. Ses camarades
également, et ils l’imitèrent tous ensemble, alors qu’ils se mirent à chanter
les paroles en chœur. On aurait dit un mignon petit récital de Noël dans une
église perdue de la France profonde. Cela ressemblait à La Marseillaise,
quelques couplets haineux en moins. Fini l’épisode du sang impur, Xavier Cantat
et ses comparses s’abreuvaient du texte inédit, triomphants. Une salve
d’applaudissements retentit au beau milieu de l’Assemblée dès que se tut la
chorale.
Un
spectacle émouvant. D’ailleurs, certains en avaient les larmes aux yeux. Enfin
cet infâme hymne raciste et belliqueux allait pouvoir être remplacé par quelque
chose de plus sain et de plus beau. On demanda alors à Xavier quel était ce
chant que ces révolutionnaires venaient de lancer fièrement. Lui et sa compagne
répondirent qu’il s’agissait d’une autre composition de Rouget, sans doute une
partie méconnue de La Marseillaise. Mais ce n’était pas bien grave. Le
changement était en marche ! En quelques secondes, toute la classe politique
et les médias avaient été mis au courant, à mesure que les vainqueurs sortaient
de l’Assemblée, hurlant leur victoire et la prise d’un emblème de la Nation
dans une clameur époustouflante, renversant les vieux murs de leurs cris de
guerre. Près de l’entrée, sur un tapis rouge, on aperçut Laurent Ruquier,
interviewé au micro d’une chaîne de télé. Lunettes baissées, cheveux gris
hirsutes, il manifesta son enthousiasme et son soutien au progrès historique
qui allait s’accomplir. Le journaliste lui rappela que le nouvel hymne était un
texte de Rouget. Mais ça non plus, ce n’était pas grave.
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