Monsieur
A, le serveur du café, paraissait heureux de me voir. Il me semblait qu’il
s’était embrouillé avec sa chef, une fois de plus. Des choses qui arrivent.
Comme toujours. Mais après tout, je n’en étais pas certain. De toute façon,
comment aurais-je pu en être certain ?
J’étais
revenu dans ce monde peuplé de cons et de minables. Bien que ces derniers
puissent parfois se confondre. M’abritant de la vie nocturne d’ici-bas,
insalubre et pesante sous les spotlights, je décidai de rendre visite à
Monsieur E chez lui. Il devait me donner des conseils précieux sur le choix
d’un instrument, m’aider à comparer la Precision et la Jazz Bass de Fender. Lui
aussi s’était disputé avec sa chef, Mademoiselle M, qui était en réalité sa
fiancée. Parfois, c’est pareil. Les fantômes du conflit étaient encore présents
par ici. Je les voyais autour de moi comme des flashbacks. Monsieur E non plus
n’avait pas réussi à échapper à la mascarade des cons et des minables. Il
continuait à cohabiter avec eux. Puis il me fit monter à l’étage, une sorte de
loft qu’il avait transformé en studio de musique. Ce n’est qu’en arrivant au
sommet des escaliers que je vis le volcan se briser en mille morceaux depuis la
baie vitrée de l’appartement. Il vola en éclats, en éclats de fumée, de glace,
de satin et de je-ne-sais plus quoi. J’avais l’impression qu’il était sous mes
yeux. Il explosa dans une violence inouïe qui ne produisit pas le moindre
bruit, malgré la brutalité de cette plainte de la roche et de la nature :
Monsieur E avait une baraque bien insonorisée… Sous le nuage blanc liquide, les
Rouge et Noir étaient menés au score. Je les imaginais en-dessous de l’impact,
face à une équipe de seconde zone. C’est ainsi que j’eus ces images d’eux, se
démenant à l’époque sur des terrains pitoyables, entre deux scènes aménagées
pour un festival en plein air.
Quelque
part au même moment, un grand souverain à l’apparence de John Merrick se
faisait porter par une barque sur un fleuve inconnu. À la lumière d’une bougie,
sur le bateau dans cette cabine aux reflets de feu, il s’apprêtait à prendre un
bain. Et avec sa coiffure difforme et ses lèvres monstrueuses, il se répétait à
lui-même : « Un bon bain pour le roi. Un bon bain pour le
roi… ».
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