Au
départ, il y eut un tremblement. À la fin aussi. Une secousse. Quelque chose de
violent qui déjà n’existait plus, et s’était évaporé, à tel point qu’il était
impossible de savoir de quoi il s’agissait. Puis plus rien, je crois. L’oubli.
Mon
père n’arrivait plus à suivre le fil d’une conversation. On lui parlait, on
avait l’impression d’être face à un pantin vide de tout, qui regardait un point
inexistant au lointain et qui ne prêtait pas la moindre attention à nos
paroles. Lui-même sortait de son mutisme au bout d’un moment, peu attentif au
monde qui l’entourait. Et ce qui l’encerclait alors, c’était une montagne
merveilleuse de l’arrière-pays, plaque abrupte de roche grise et d’arbres
verdoyants. Majestueux. Depuis ce balcon sur lequel je me trouvais, je
remarquai que la cime de cette falaise côtoyait le ciel, comme si les deux
étaient collés l’un à l’autre, ce qui abreuvait la vallée de soleil à toute
heure du jour. Il suffisait juste que l’Astre ne soit pas assoupi. Ce qui m’étonnait
le plus, c’était que mon père puisse aimer un tel paysage. Je m’étais fait la
réflexion avec ma mère, disant qu’il n’aimait pas le Soleil, en temps normal. Mais
le spectacle était si beau que je ne m’en préoccupais guère, qu’il s’agisse du
nouveau lieu de résidence de mon géniteur ou non. Le balcon surplombait une
autre immensité de néant, mais de ce perchoir de pierre, l’on ne pouvait voir
que ce que la nature divine faisait naître et mourir en face, sur l’autre
versant.
Le
soir-même, nous étions en voiture tous les trois. Je devais être pris en charge
médicalement pour une durée inconnue. Au cours d’une pause dans l’herbe humide
et l’obscurité, je voulus discuter avec ma mère, la Lune brillante comme
seule compagnie sur cette colline accidentée. Je repensais à la vallée que j’avais
contemplée durant la journée. À tout hasard, je parlais à ma mère d’un bled
perdu dont j’avais eu connaissance. Elle, curieusement ravie, m’expliqua tout
le bien qu’elle pensait de cet endroit, un grand sourire aux lèvres. Une
incompréhension de plus pour moi, elle qui d’ordinaire avait en horreur tous
ces villages isolés et lugubres, qui sont légion dans les montagnes.
« Oh
non, mais c’est une commune pleine de chiens et de chats. »
Je
revoyais encore la tristesse infinie des pierres et des bâtisses, une vision à
mille lieues de celle que je venais d’avoir avec mon père. Et ma mère d’ajouter :
« C’est
un village à la coque. »
Soit…
Et
nous reprîmes la route, nous arrêtant au beau milieu d’une forêt, alors que je
répétais des mouvements de kung-fu à l’arrière de la voiture. Nous étions
stoppés par un énorme arbre qui faisait une sieste centenaire parmi ses
proches. Autour de nous, toujours la nuit et cette absence de couleur à nos
yeux. Ni une ni deux, je sortis de la voiture et enjambai le géant de bois avec
une agilité asiatique plutôt ridicule.
« Tu
te prends pour Jet Li ?! », me hurla mon père. Je n’en tins pas
rigueur. Jusqu’à ce que, encore à terre, un chausson noir et blanc se posa
brutalement sur ma main. Et alors que je levais la tête, Jet Li en personne.
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