Plusieurs
fois j’eus l’impression d’être assailli par un horrible cafard aux ailes
blanches, couleur de soie, aux dimensions cauchemardesques. À deux reprises, je
crois. Mais il n’en était rien.
Tout
n’était qu’argent. Et hypocrisie. Dans une gare de bus, je voulus tuer un
guichetier qui refusait de me vendre un titre de transport pour une raison
obscure. On essaya de me retenir, de me ceinturer, de m’immobiliser. Le seul
exutoire que je trouvai alors fut de cracher au visage d’une pauvre bourgeoise,
veuve ou célibataire, qui n’avait rien demandé. Je m’en foutais. Face à son
indignation, je légitimai mon acte en l’insultant.
Et
ça continuait. Plus tard, je vis un attroupement au coin d’une rue : un
mec que je connais depuis l’école, ami d’un jeune homme qui venait de mourir
dans un accident de moto (Monsieur N, que je n’aimais pas mais qui est parti
beaucoup trop tôt), était en train de se battre violemment avec un autre gars.
Tout ça pour une fille au beau milieu de la foule dont les membres qui la composaient
en hurlant donnaient l’impression d’assister à un combat de coqs. Je crus
comprendre que celui que je ne connaissais pas était impliqué dans un sale plan et
devait une grosse somme à quelqu’un. Mais tout resta très confus.
La
nuit était tombée. Noire, sans un mot. Elle et moi nous passâmes un moment sur
un banc pour apprécier le silence, alors qu’à quelques mètres de nous gisait
une forme humaine enveloppée dans une couette de fortune. De là où j’étais, on
aurait dit une version féminine de l’escroc pris dans la bagarre plus tôt dans
la journée. Mais il était difficile de savoir. Alors avec Elle nous nous mîmes
à dessiner par terre, à la craie, des symboles en couleur qui menaient jusqu’au
corps endormi : de l’amour, des fleurs, des sourires, et même une tête de
chat. Jusqu’à ce que je signe le dernier dessin de la route enfantine de
quelques pas que nous venions de créer : une énorme inscription en lettres
capitales, sans signification, dans le sens contraire aux formes que nous
avions figées par terre, perpendiculaire à mon regard et au corps inconnu, comme
une dernière passerelle pour l’atteindre. Sauf que l’on aurait pu jouer à la
marelle dessus.
Tout
n’était encore qu’argent. Or, nous avions fait connaissance avec celui qui
s’était fait molester parmi la foule. Lors d’un dîner, il continua à nous
parler de placements, de remboursements, de dettes… C’était dur de ne pas en
avoir rien à foutre. Des bouteilles avaient volontairement été vidées dans
l’évier.
Sur
le chemin pour me rendre à une convention artistique, je croisai près d’un
cinéma celui que l’on prétendait être Jacques Mesrine, le crâne rasé, un anneau
dans le nez et vraisemblablement en pleine période punk car vêtu comme Sid
Vicious avec son célèbre t-shirt rouge à croix gammée. J’ignorais s’il
interprétait une chanson de Sinatra, mais il se donnait en spectacle avec sa
compagne dans un décor aux couleurs du drapeau états-unien très kitsch :
étrange, et à mille lieues de l’image de gangster que j’avais, que je pensais
né dans les années 30 et que je croyais mort.
Il
y avait beaucoup de monde à cette convention du tatouage, dans un immense salon
blanc et design. Elle, se tenant un peu à l’écart, venait de trouver un symbole
magnifique à se faire encrer sous la peau : le relief d’une fleur de
pierre, spongieuse, décrivant de belles arabesques le long de ses étranges
pétales. C’est ainsi qu’Elle décida d’effectuer elle-même le calque de cette
plante merveilleuse.
De
mon côté, je me connectai à un réseau grâce à une borne mise en place dans un coin
de la salle : là, je lus un message du tatoueur, Monsieur M, de
remerciement et d’admiration, m’expliquant dans la langue de Dante combien il
avait été ravi de travailler sur mon corps. Surpris et touché, je décidai de le
chercher au milieu de l’assemblée mondaine. L’occasion de croiser de nombreux
visages que je n’avais pas envie d’apercevoir, notamment toute la fine bande du
magasin de musique qui avait hanté ma jeunesse. J’évitai soigneusement leurs
regards, en constatant que l’un d’entre eux avait été équipé d’un
sonotone : peut-être que Justice avait été faite ?
C’est
alors que je trouvai le tatoueur, derrière le comptoir. Après un court
bavardage, je le remerciai pour ses paroles sympathiques et lui proposai de
travailler sur Elle, qui venait de nous rejoindre. Affectueusement, je lui
demandai ainsi de sortir de sa poche le dessin de la fleur de pierre qu’elle
avait exécuté. Mais Elle refusa. Elle avait manifestement changé d’avis…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire